Bail commercial : fin du bail, état conforme, remise des clefs et indemnité d'occupation

par Me Jean-Luc Médina
Lundi 3 mars 2025

La Cour de cassation est très fréquemment saisie de litiges liés à la fin des relations contractuelles dans le cadre d'un bail commercial. Remise des clefs, état des lieux, restitution du dépôt de garantie, montant des travaux de remise en état : tout peut être prétexte à litige.

Focalisons-nous sur quatre décisions de la Cour de cassation récentes de la troisième chambre civile, trois décisions du 27 juin 2024, n° 22-10.298 ; n° 22-21.272 et n° 22-24.502 et une du 14 novembre 2024, n° 23-16.539

La remise des clefs, élément essentiel

L'arrêt de la Cour de cassation du 14 novembre 2024 traite de la période pendant laquelle le locataire qui voit son bail résilié doit payer une indemnité d'occupation. On parle de loyer lorsque le bail est en vigueur et d'indemnité d'occupation lorsque le bail est résilié et que le locataire est en phase de départ, période qui peut durer plus ou moins longtemps.

Cet arrêt traite de l'importance de la preuve de la remise des clefs. En l'espèce, un locataire avait été victime de fuites d'eau dans son local commercial de salon de coiffure en provenance des appartements privatifs du dessus. Le locataire a donc assigné son bailleur, le syndicat des copropriétaires et les compagnies d'assurances afin d'obtenir la résiliation du bail aux torts du bailleur et l'indemnisation de son préjudice.

Le bailleur, à titre conventionnel, a sollicité, compte tenu du non-règlement des loyers, la résiliation du bail aux torts du locataire, le paiement des loyers et d'une indemnité d'occupation et l'indemnisation de divers préjudices. La résiliation du bail a été actée. Cependant, le bailleur n'a pas obtenu d'indemnité d'occupation postérieure à la résiliation du bail jusqu'à la remise sans contestation possible des clefs des locaux.

C'est donc le bailleur qui a formé le pourvoi en cassation, considérant que l'indemnité d'occupation était due non seulement pendant le temps de l'occupation effective des lieux, mais aussi après le départ de l'occupant tant que ce dernier n'a pas restitué les clefs au bailleur, alors qu'il était démontré dans le dossier que le locataire n'avait jamais repris l'exploitation de son salon de coiffure depuis le jour où une partie du plafond du local s'est effondrée.

Il est rappelé que la résiliation du bail est intervenue neuf ans après l'effondrement du plafond. La cour d'appel avait considéré qu'en l'absence d'exploitation depuis l'effondrement du plafond, l'existence d'un procès-verbal d'huissier démontrant que le locataire n'avait plus d'établissement connu à l'adresse des locaux devait l'exonérer de tout paiement de loyer et d'indemnité d'occupation.

La Cour de cassation casse cet arrêt et considère qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher comme il le lui était demandé si les lieux avaient été effectivement libérés par la remise des clefs au bailleur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Cette décision est sévère pour le locataire qui a subi des désordres d'infiltrations d'eau, un plafond effondré et qui a dû stopper son exploitation. Le locataire a bien évidemment été indemnisé de l'ensemble de son préjudice. Cependant, en compensation, pour ne pas avoir pris la précaution de restituer les clefs de manière officielle et sans contestation possible, il va être tenu au paiement des loyers antérieurs à la remise des clefs et d'une indemnité d'occupation postérieure à cette date qui matérialise la résiliation du bail.

Cet arrêt attire l'attention des professionnels sur la nécessaire restitution des clefs dans le cas d'une résiliation de bail. Ce point matériel, considéré comme secondaire, est parfois négligé par les circonstances. Or, il est considéré comme essentiel par la Cour de cassation.

Dépôt de garantie, état des lieux et travaux

Lors de la fin des relations contractuelles, le bailleur espère récupérer son bien en bon état. Le locataire, quant à lui, espère récupérer son dépôt de garantie sans aucune imputation d'éventuels travaux de remise en état. Comment la Cour de cassation apprécie-t-elle le montant des sommes que peut conserver le bailleur afin de remettre le bien en état ?

La Cour de cassation a rendu trois arrêts le même jour en date du 27 juin 2024 pour permettre de mieux cerner la problématique. Suffit-il de constater la non-restitution du local en bon état tel que prévu dans le bail, pour justifier de l'allocation de dommages-intérêts au profit du bailleur ? La jurisprudence a d'abord été fluctuante.

Dans un arrêt publié le 30 janvier 2002 (n° 00.15.784), la Cour de cassation avait estimé que si les locaux n'étaient pas rendus en bon état et conformément aux clauses contractuelles, le bailleur avait droit à une indemnité, peu importe si ce bailleur avait ou pas effectué les réparations ou s'il justifiait d'un préjudice. Cette jurisprudence a fait couler beaucoup d'encre. On vise ici l'hypothèse d'un bailleur qui récupère son bien en mauvais état et qui, pour une raison indéterminée, le cède ou le reloue sans subir véritablement de préjudice sur la valeur du bien et sans effectuer les travaux.

Dans un second arrêt rendu cette fois-ci en assemblée plénière le 3 décembre 2003 (n° 02-18.033), la Cour de cassation a procédé à un revirement de jurisprudence. Elle a affirmé que des dommages-intérêts ne pouvaient être alloués que s'il était constaté l'existence d'un préjudice d'ordre contractuel.

Dès lors qu'un bailleur reloue les locaux à un locataire qui les a réaménagés sans que ce bailleur n'ait contribué ou déboursé quoi que ce soit pour effectuer des travaux, celui-ci n'a pas subi de préjudice et ne doit pas recevoir réparation.

C'est cette jurisprudence qui date de 2003 que la Cour de cassation a confortée par trois arrêts du 27 juin 2024.

Il faut rappeler que l'article 1732 du Code civil instaure une présomption simple de faute du locataire. À la fin du bail, le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute. Il lui appartient donc de démontrer qu'il restitue le bien en bon état ou conformément à ce que prévoit le contrat. L'article 1732 n'instaure pas de présomption d'existence de préjudice.

De même, l'article 1231-2 du Code civil pose le principe de réparation intégrale du préjudice en estimant que les dommages-intérêts dus au créancier doivent correspondre à la perte qu'il a faite et au gain dont il a été privé.

Dans la majorité des cas, le bailleur subit effectivement un préjudice qui correspond au coût de la remise en état des locaux, voire un préjudice d'immobilisation de son bien ou un préjudice de moins-value à la revente ou à la relocation compte tenu de l'état des locaux.

Si effectivement le bailleur n'assume pas le coût des travaux de remise en état dont il demande l'indemnisation, le juge doit évaluer le préjudice au jour où il statue et n'indemniser le bailleur que du préjudice qu'il subit.

Ainsi, le préjudice doit être calculé par le juge en prenant en compte les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles que la relocation, la vente ou la démolition. Il n'y a pas d'allocation automatique de dommages-intérêts.

Cette jurisprudence de 2003, confortée par celles de 2024, est totalement dans la logique du droit commun de la réparation en matière de responsabilité civile et il faut donc s'en féliciter.