Pension alimentaire en France et débiteur frontalier : comment et dans quelles conditions obtenir le paiement ?

par Valérie Truchet
Jeudi 6 mars 2025

Le non-paiement d'une pension alimentaire reste un sujet épineux entre parents séparés ou divorcés. La difficulté se corse quand le parent débiteur a le statut de frontalier en Suisse. Explications sur le principe, les mécanismes de l'intermédiation financière et les solutions juridiques pour la Suisse.

Contexte général

Il arrive parfois que suite à une séparation ou à un divorce, le parent, condamné à verser une pension alimentaire au titre de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant à l'autre parent, ne s'exécute pas spontanément.

Dans un tel cas, avant 2023, le parent qui n'avait pas reçu les sommes dues devait mandater un huissier de justice aux fins de faire signifier la décision à l'autre parent, ainsi qu'un commandement de payer du montant en souffrance. Si le parent débiteur ne s'exécutait pas, il était possible de faire procéder à une saisie-attribution sur son compte bancaire, pour peu que les fonds soient disponibles, voire à des saisies-ventes le cas échéant. De telles démarches étaient lourdes, onéreuses et chronophages, ce qui avait pour effet de dissuader certains parents de les engager. Il était alors fréquent que la charge des enfants ne pèse que sur ces derniers, l'autre parent ne réglant rien à ce titre en dépit du jugement obtenu.

En France, mécanisme de l'intermédiation financière depuis 2023

Depuis le 1er janvier 2023, l'intermédiation financière a été systématiquement mise en place pour le règlement de toutes les pensions alimentaires. Ce service est géré par l'Agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires (Aripa). La pension est payée chaque mois par le parent débiteur à l'Aripa, qui se charge de la reverser immédiatement à l'autre parent.

En cas d'impayé, l'Aripa engage une procédure de recouvrement de l'impayé contre le parent débiteur, d'abord amiable puis, en cas d'échec, une procédure de recouvrement forcé auprès de tiers détenteurs de fonds (employeur, Pôle emploi), avec l'appui du Trésor public le cas échéant.

Pour que ce système soit effectif, il importe que la décision de justice rendue en fasse état expressément et ne mentionne pas le refus des deux parents de mettre en place l'intermédiation financière, conformément à l'article R 582-4-1 du Code de la sécurité sociale. De plus, il importe que le parent débiteur de la pension alimentaire communique à l'organisme débiteur des prestations sociales les diverses informations le concernant, à défaut de quoi le système de l'Aripa peut ne pas fonctionner.

Difficultés d'application de l'intermédiation financière en présence de frontaliers suisses

En présence de débiteurs de pensions alimentaires ayant un statut de frontaliers en Suisse, il n'est pas possible pour l'organisme débiteur des prestations sociales de recouvrer les fonds avancés, notamment auprès des employeurs. S'il apparaît que les parents sont tous deux frontaliers suisses, la situation est encore plus problématique, puisque ni l'un ni l'autre ne possèdent de numéro d'affiliation auprès de l'organisme français de prestations sociales, dans la mesure où la législation de l'État dans lequel les personnes exercent une activité professionnelle s'applique en priorité sur celle de l'État de résidence. Ainsi, les frontaliers dépendent donc en priorité de la législation suisse, et donc des organismes débiteurs de prestations familiales suisses, ce qui rend inefficace le mécanisme de l'Aripa via la CAF ou la MSA.

Dès lors, comment faire en présence de débiteurs de pensions alimentaires frontaliers suisses pour obtenir le règlement des sommes dues, si ces derniers ne s'en acquittent pas spontanément ?

Saisie des sommes dues auprès de tiers débiteurs sur ordonnance du juge suisse

Il est possible de procéder à une saisie sur salaire directement auprès de l'employeur suisse du parent frontalier débiteur de la pension alimentaire. La base légale résulte de l'article 132 alinéa 1 du Code civil suisse, relatif à l'entretien après divorce, qui dispose :

« Lorsque le débiteur ne satisfait pas à son obligation d'entretien, le juge peut ordonner à ses débiteurs d'opérer tout ou partie de leurs paiements entre les mains du créancier. »

L'article 177 du Code civil suisse, relatif aux mesures protectrices de l'union conjugale, prévoit quant à lui : « Lorsqu'un époux ne satisfait pas à son devoir d'entretien, le juge peut prescrire aux débiteurs de cet époux d'opérer tout ou partie de leurs paiements entre les mains de son conjoint. » Enfin, en matière de contributions d'entretien relatives aux enfants, il ressort de l'article 291 du Code civil suisse que : « Lorsque les père et mère négligent de prendre soin de l'enfant, le juge peut prescrire à leurs débiteurs d'opérer tout ou partie de leurs paiements entre les mains du représentant légal de l'enfant. »

Ainsi, si le parent condamné à verser une pension alimentaire au titre de l'entretien et de l'éducation des enfants ne la paie pas régulièrement et s'il reçoit un salaire en Suisse, ou même d'autres prestations périodiques (indemnités d'assurance privée ou sociale, rente AVS ou rente de 2e pilier), le juge suisse pourra ordonner aux débiteurs de ce parent de verser directement entre les mains de l'autre parent, chaque mois, les montants qui lui sont dus.

Dans tous les cas, le minimum vital du parent débiteur devra être sauvegardé et ne pourra pas être saisi, excepté si l'autre parent n'arrive lui-même pas à couvrir son minimum vital.

Dans le canton de Genève, le minimum vital est de 1 200 francs suisses, pour une personne vivant seule (contrevaleur de 1 274 euros), et de 1 350 francs suisses, pour une personne seule avec enfants (contrevaleur de 1 433 euros), étant précisé que si le débiteur vit en France, il y a lieu de demander au juge l'application d'un montant inférieur au titre du minimum vital, pour tenir compte du coût de la vie moins élevé en France qu'en Suisse. Ainsi, à titre de comparaison, le minimum vital ou solde bancaire insaisissable en France est fixé à 635, 71 euros, et ce quelle que soit la situation familiale du débiteur.

Conditions d'engagement de l'action

Pour introduire cette action, il importe au préalable de faire signifier le jugement rendu en France à l'autre parent par commissaire de justice, puis d'obtenir un certificat de non-appel confirmant que celui-ci est définitif. L'article 26 du Code de procédure civile suisse dispose que le tribunal du domicile de l'une des parties est impérativement compétent pour statuer sur les actions intentées contre des parents tenus de fournir des aliments. Toutefois, la Cour de Justice de Genève a rendu un arrêt le 20 mars 2024 aux termes duquel elle a confirmé que si les deux parties sont domiciliées à l'étranger et que l'une d'elles travaille en Suisse, le tribunal du lieu de travail (domicile de l'employeur) est compétent.

Pour que la requĂŞte soit admise par le tribunal, les conditions suivantes doivent ĂŞtre remplies :

  • Le parent crĂ©ancier bĂ©nĂ©ficie d'une dĂ©cision judiciaire dĂ©finitive et exĂ©cutoire ordonnant au dĂ©biteur de payer les contributions d'entretien.
  • Les pensions alimentaires n'ont pas Ă©tĂ© payĂ©es ou pas payĂ©es rĂ©gulièrement et totalement Ă  plusieurs reprises. Un simple retard n'est pas suffisant.
  • La requĂŞte est dirigĂ©e contre le parent dĂ©biteur (pas directement contre l'employeur ou l'assurance).
  • Il sera Ă©videmment nĂ©cessaire de connaĂ®tre l'identitĂ© de l'employeur ou de l'assurance du parent dĂ©biteur.

Si le tribunal estime que ces conditions sont réunies, il rendra une décision ordonnant la saisie des sommes dues directement entre les mains du tiers débiteur au profit du parent créditeur.

Enfin, les saisies sur salaire ne seront accordées que pour les pensions dues depuis le dépôt de la requête et pour le futur, mais pas pour celles qui étaient dues pour des périodes antérieures au dépôt de la requête. S'il s'avère que la pension n'a pas été payée pendant plusieurs mois avant la saisine du juge suisse, le parent créancier pourra obtenir son règlement en mandatant un commissaire de justice en France, afin qu'il délivre un commandement de payer au débiteur avant une éventuelle saisie attribution sur son compte bancaire s'il ne s'exécute pas spontanément.

En tout état de cause, pour entamer une démarche en Suisse, il paraît judicieux de prendre conseil auprès d'un avocat spécialisé dans ces procédures afin d'optimiser les démarches à engager.