Droits voisins : principes juridiques et sanctions en cas de manquement
Alors que Google a encore été récemment rappelé à l'ordre par l'Union européenne dans un contentieux sur les droits voisins, focus sur la réglementation sur ce type de droits de propriété intellectuelle, ainsi que sur les sanctions en cas de non-paiement des droits voisins.
Les principes et règles encadrant les droits voisins
Les droits voisins sont une catégorie de droits de propriété intellectuelle qui protègent les intérêts légitimes des créateurs et des autres acteurs impliqués dans la production et la diffusion de contenus créatifs. Ils complètent les droits d'auteur, en offrant des protections similaires à celles des auteurs, mais pour des personnes ou entités qui ne sont pas essentiellement les créateurs de l'œuvre elle-même.
Ils ne peuvent cependant pas limiter l'exercice des droits d'auteur par leurs titulaires et ont une durée de vie réduite comparée aux droits d'auteur, soit cinquante années (Code de la propriété intellectuelle, article L.211-4).
Ces droits concernant principalement quatre catégories de bénéficiaires :
- Artistes interprètes ou exécutants (article L. 212-1) : ce sont les personnes qui interprètent ou exécutent des œuvres protégées par le droit d'auteur, comme les acteurs, les musiciens, les danseurs, etc. Un droit moral, imprescriptible et inaliénable leur est reconnu. Les fixations, reproductions et communications au public des prestations qu'ils effectuent sont soumises à une autorisation écrite. Ce droit moral offre comme prérogatives la protection de l'interprétation et de la mémoire du défunt, qui sont transmises aux héritiers.
- Producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes (article L.213-1 / L.215-1) : ce sont les entités qui produisent des enregistrements sonores ou audiovisuels, comme les maisons de disques et les studios de cinéma. Ils ne disposent d'aucun droit moral. Cependant, ils peuvent bénéficier d'un droit exclusif qui soumet quiconque souhaitant reproduire, mettre à disposition du public ou communiquer au public les phonogrammes ou vidéogrammes à obtenir leur autorisation. L'article L. 214-1 du CPI prévoit un système de licence légale pour les phonogrammes. Une fois la première publication à des fins commerciales passée, l'artiste interprète ou le producteur ne peut plus s'opposer à l'utilisation de leur phonogramme par un tiers dans un cadre limité. En échange, une rémunération est versée au titulaire des droits voisins, dont le montant est tiré des recettes d'exploitation.
- Entreprises de communication audiovisuelle (article L.216-1) : c'est un organisme qui exploite un service de communication audiovisuelle. Il a la possibilité de s'opposer à l'exploitation de ses programmes par des tiers.
- Éditeurs de publications de presse (article L.211-4-V) : la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 crée ce nouveau droit voisin au sein du Code de la propriété intellectuelle (CPI) au bénéfice des éditeurs de publications de presse. Cette loi transpose notamment l'article 15 de la directive européenne 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique. L'objectif est de créer des conditions de négociations équilibrées entre les éditeurs de presse et les plateformes numériques. L'article susmentionné prévoit une durée de droits patrimoniaux des éditeurs et agence de presse de deux ans à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de la première publication d'une publication de presse.
Les droits voisins comprennent généralement :
- Le droit de reproduction : la capacité de contrôler la reproduction de leurs performances, enregistrements ou diffusions,
- Le droit de distribution : le droit de contrôler la distribution des copies de leurs performances, enregistrements ou diffusions,
- Le droit de communication au public : le droit de contrôler la diffusion publique de leurs performances, enregistrements ou émissions.
Avec l'avènement d'internet et des plateformes de diffusion numérique, les droits voisins ont gagné en importance. Par exemple, la directive européenne précitée sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (directive 2019/790) vise à moderniser les droits voisins pour mieux protéger les contenus diffusés en ligne. Cette directive inclut des dispositions spécifiques pour garantir une rémunération équitable des artistes et des producteurs, lorsque leurs œuvres sont utilisées sur des plateformes comme YouTube
ou Spotify.
Cependant, ces droits voisins sont souvent au centre de débats sur la juste rémunération des créateurs et des interprètes. Les plateformes numériques et les entreprises de technologie argumentent souvent que les obligations en matière de droits voisins peuvent être contraignantes et freiner l'innovation.
D'autre part, les artistes et les producteurs soutiennent que ces droits sont essentiels pour garantir une rémunération équitable pour l'utilisation de leur travail.
Les manquements répétés de Google en matière de droits voisins
Les récentes affaires concernant Google en matière de droits voisins ont principalement tourné autour des obligations de l'entreprise envers les éditeurs de presse pour l'utilisation de leurs contenus.
Concernant le contexte, les droits voisins ont été introduits par la directive européenne sur le droit d'auteur de 2019. Ils visent à protéger les éditeurs de presse en leur permettant de recevoir une compensation, lorsque leur contenu est utilisé en ligne par des plateformes comme Google.
La France a été l'un des premiers pays à transposer cette directive en droit national.
En septembre 2019, l'Autorité de la concurrence française a ordonné à Google de négocier de bonne foi avec les éditeurs de presse pour la rémunération des droits voisins. Google a initialement refusé de payer, choisissant plutôt de ne pas afficher de fragments d'articles ou de les afficher uniquement si les éditeurs consentaient à une utilisation gratuite. Cette décision a été jugée contraire à l'obligation de négociation.
En avril 2020, l'Autorité de la concurrence a ordonné à Google de payer les éditeurs et les agences de presse pour l'utilisation de leurs contenus sous peine de sanctions financières.
En juillet 2021, Google a été condamné à une amende de 500 millions d'euros pour ne pas avoir négocié de bonne foi avec les éditeurs de presse. L'Autorité de la concurrence a exigé de nouvelles négociations sous peine d'amendes supplémentaires.
Suite à ces sanctions, Google a entamé des négociations et a signé des accords avec plusieurs éditeurs de presse français, prévoyant des paiements pour les contenus utilisés par le moteur de recherche. Ces accords comprennent des licences individuelles et une enveloppe globale dédiée à la presse française. En janvier 2021, Google a également annoncé un partenariat avec l'Alliance de la presse d'information générale (Apig) pour rémunérer les contenus de presse.
D'autres pays européens suivent de près l'évolution en France et envisagent des mesures similaires. L'Australie a également mis en place un Code de négociation des médias qui oblige Google et d'autres plateformes numériques à rémunérer les éditeurs pour leurs contenus.
En juin 2022, Google a pris des engagements vis-à-vis de l'Autorité de la concurrence qui ont pour objectifs la création d'un cadre de négociation et de partage des informations nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération des droits voisins.
Toutefois, Google ne démontre pas un respect suffisant de ces engagements et est donc condamné par la décision du 14 mars 2024, rendue par l'Autorité de la concurrence, à une amende de 250 millions d'euros.
La création de ces nouvelles dispositions concernant le droit d'auteur et l'intitulé même de la directive transposée en France démontre bien l'objectif européen de créer un « marché unique européen ». Ce nouveau marché étant régi par des règles auxquelles même le géant américain doit se plier, le Brussels effect ne semble pas être un phénomène voué à disparaître, notamment dans le domaine numérique.