La lutte contre les discriminations est-elle une obligation négociable ?
Le 28 mars dernier, plusieurs entreprises françaises ont reçu un courrier de l'ambassade des États-Unis à Paris, exigeant des garanties de conformité vis-à-vis d'un décret présidentiel interdisant certaines politiques de diversité, équité et inclusion, dans le cadre des contrats fédéraux, avec à la clef, un risque d'exclusion des marchés publics américains. Cet engagement est-il compatible avec la loi française ?
Si le Code du travail a renforcé les dispositifs de lutte contre les discriminations, l'injonction de l'administration américaine nécessite de redéfinir le cadre légal et de rappeler ce qui ne peut pas être remis en question dans les relations contractuelles du travail, a fortiori sur demande et ingérence d'un État extérieur.
Une société est tenue de lutter contre toutes formes de discriminations dans sa politique sociale
Si la discrimination est formellement interdite, c'est d'abord parce qu'elle repose sur des critères étrangers à la relation de travail, mais qui vont pourtant s'inviter dans l'appréciation des qualités et des aptitudes d'un salarié à pouvoir tenir un poste, voire à évoluer ou être sanctionné.
L'acte discriminatoire encourt la nullité (par exemple lorsqu'il est la cause d'un licenciement) et son auteur une lourde peine pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende (article 225-4 du Code pénal).
Selon l'article L 1132-1 du Code du travail, le juge pourra retenir la discrimination dans le cadre de décisions prises contre le salarié notamment en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que
le français.
À l'exception de l'appartenance à un sexe, l'ensemble de ces critères permettent de protéger des minorités, ou tout du moins des personnes qui peuvent être victimes de décisions iniques et injustifiées, ne reposant sur aucun élément objectif.
Le dispositif légal, qui s'est voulu exhaustif et complet, entend donc interdire toutes décisions qui prendraient en compte l'origine qu'elle soit biologique, sociale et sociétale, mais également les choix ou les états d'existence qui, par nature, n'ont aucun lien, aucune conséquence, aucun effet sur la qualité du travail. Aucun aménagement, aucune exemption, ni exception ne sont fort heureusement possibles, sur chacun de ces principes qui lient et continueront de lier les entreprises françaises qui pourraient s'engager à ne pas les respecter.
Même si le décret Trump semble, a priori, ne s'adresser qu'aux politiques d'incitation et de promotion communément appelées « mesures de discriminations positives », le terme du décret 14173 est plus générique, puisqu'intitulé « formulaire de certification du respect de la loi fédérale américaine sur l'anti-discrimination ». Enfin, plus globalement, en interdisant de « tenir compte de », la loi française, in fine, ne vise-t-elle pas finalement à « promouvoir » ?
Un employeur doit respecter des objectifs de réajustement salarial ou de rééquilibrage
Les obligations légales de rééquilibrage et de réajustement pour certaines catégories de salariés peuvent être considérées comme de la discrimination positive en ce qu'elle impose à un employeur d'atteindre un objectif afin de corriger des inégalités sociales, qu'elles soient salariales ou en termes d'embauche.
Exiger d'une société qu'elle atteigne des standards, faute de quoi elle serait passible d'une amende calculée sur la masse salariale, apparaît très clairement comme une mesure dont l'objet serait de contrarier les usages et les pratiques managériales actuelles.
En cela, ces dispositifs de correction, qui s'imposent aux sociétés visées par le courrier du 28 mars dernier, ne sont pas compatibles avec les exigences du décret 14173, et rendent la signature du certificat difficile, voire impossible, puisque contraire aux règles d'ordre public.
Deux secteurs sont particulièrement concernés :
- L'égalité homme-femme : afin de corriger les écarts historiques de salaires entre les hommes et les femmes, les sociétés doivent conclure un accord ou un plan d'action fixant les objectifs de progression et les actions permettant d'atteindre un alignement des salaires entre les hommes et les femmes. Les domaines sur lesquels une analyse doit être faite sont l'embauche, la formation, la promotion professionnelle, la qualification, la classification, les conditions de travail, la sécurité et santé au travail, la rémunération effective et l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale. Et pour s'assurer que les objectifs et les actions seront suivis d'effets, l'employeur doit mettre en place des indicateurs chiffrés.
Même si ces écarts demeurent et ne sont que réduits, le but recherché par le législateur est bien d'atteindre une égalité sous peine de sanctions financières. Plus qu'une incitation, il y a bien un objectif à atteindre duquel ne peuvent s'extraire les sociétés françaises.
La mise en place d'indices est assurément le meilleur moyen de déployer des outils de vérification qui objectivisent l'analyse et permettent de quantifier les efforts entrepris par les employeurs. Ils doivent permettre, au fil du temps, de corriger et espérons-le, d'annuler les différences et inégalités salariales. Ce dispositif étant d'ordre public, aucune société ne pourrait y déroger.
- Le travail des personnes en situation de handicap : la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 a maintenu une obligation de respecter un taux d'emploi des personnes en situation de handicap fixé à un taux de 6 % de l'effectif de l'entreprise. Le non-respect de cette obligation entraîne une amende appelée contribution financière annuelle qui sera versée au Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). Dans les faits, l'aspect coercitif de cette amende n'a pas les effets escomptés sur le taux d'emploi des personnes en situation de handicap, les entreprises préférant parfois s'acquitter de la contribution.
Il n'en demeure pas moins que l'obligation faite aux entreprises d'atteindre un taux d'embauche s'agissant de personnes en situation de handicap s'inscrit bien dans un dispositif de promotion d'insertion et de diversité. À l'instar de l'égalité homme-femme, il devrait normalement amener les sociétés sollicitées à ne pas répondre aux exigences de la directive « Trump ».
Le régime facultatif des politiques sociales d'insertion, d'équité et d'inclusion volontaristes
Associés aux politiques RSE (responsabilité sociale des entreprises), les enjeux de diversité, de promotion et d'inclusion sont étroitement liés aux valeurs de l'entreprise sur lesquelles elle peut asseoir sa communication grand public.
Défendre des principes, c'est aussi s'afficher auprès des consommateurs comme défenseurs d'une vision de « l'entreprise citoyenne » qui dépasse très largement son « cadre de production ».
La mise en place de critères qui dépasseraient et compléteraient ceux de l'article L1132-1 du Code du travail est dans ce cas volontariste. Le cadre peut être celui d'une charte d'entreprise, dont le régime juridique serait celui de l'engagement unilatéral, c'est-à-dire un bloc de règles que l'employeur s'engage à respecter et qu'il se fixe à lui-même. Charte de bonne conduite, compliance... : sauf à les dénoncer individuellement et collectivement, ces mesures adoptées au titre de la diversité ou de l'inclusion devront être respectées.
Il en sera de même lorsque de surcroît, des accords d'entreprises majoritaires auront été conclus avec des organisations syndicales qui, à l'instar des comités économiques et sociaux, seront bienveillantes sur le respect des dispositifs conventionnels, notamment à l'occasion de la consultation annuelle sur la politique sociale.
Dans ce cas, seule la dénonciation de l'accord permettrait à une entreprise de se défaire de ces engagements, ce qui, à n'en point douter, alimentera de nombreux débats sur les valeurs de l'entreprise... au risque de dégrader son image. Ce décret est une véritable pierre dans le jardin des grandes entreprises françaises lesquelles devront, pour le coup, faire preuve de diplomatie.