Développement de solutions informatiques et régularité comptable : la prudence est de mise !

par Guillaume Vaucheret-Perrier, Robert Girard
Mardi 8 avril 2025

Le traitement comptable des frais de développement des solutions informatiques, modifié pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024, est encadré par le plan comptable général. Ces frais sont enregistrés à l'actif du bilan sous réserve du respect de conditions strictes. Exemple avec les start-up du secteur numérique.

L'immobilisation ou non des frais de développement des solutions informatiques peut avoir un impact significatif sur les états financiers, et donc influencer le jugement des utilisateurs des comptes. Il est important que les règles soient respectées sans que d'autres considérations influencent l'enregistrement comptable. Le cas des start-up du secteur numérique, parmi les premières concernées, permet d'illustrer les causes qui peuvent entraîner un traitement inadéquat et les risques qui y sont associés.

Les nouvelles règles relatives aux frais de développement de solutions informatiques

Selon le règlement de l'Autorité des normes comptables n° 2023-05 : « Une solution informatique est un ensemble organisé de fonctionnalités logicielles (programmes, codes, paramétrages...) apte à satisfaire les besoins des utilisateurs en vue notamment de stocker, manipuler, transformer, produire, sécuriser des données, d'y accéder ou encore de les transmettre. Une solution informatique peut être un projet unique ou un ensemble de sous-projets. » Le terme « solutions informatiques » se substitue au terme « logiciels » et englobe plus largement les sites internet et les plateformes numériques.

Ce règlement précise que « dans le cas où l'entité a comptabilisé des solutions informatiques en tant que frais de développement à son bilan à l'ouverture de l'exercice de première application, elle en reclasse les valeurs nettes comptables au compte Solutions informatiques. »

Le traitement des « solutions informatiques » relève de l'article 611-3 du plan comptable général, qui indique que « la solution informatique produite partiellement ou intégralement par l'entité est comptabilisée à l'actif à son coût de production, à compter de la date à laquelle l'entité s'engage à réaliser le projet, dès lors que l'ensemble des critères suivants sont respectés :

- Faisabilité technique nécessaire à l'achèvement de la solution informatique en vue de sa mise en service ou de sa commercialisation ;

- Intention d'achever la solution informatique et de l'utiliser ou de la commercialiser ;

- Capacité à utiliser ou à commercialiser la solution informatique ;

- Capacité de la solution informatique à générer des avantages économiques futurs probables. L'entité doit démontrer, entre autres choses, l'existence d'un marché s'il s'agit d'une solution à usage commercial ou, si celle-ci doit être utilisée en interne, son utilité ;

- Disponibilité de ressources techniques, internes ou en sous-traitance, financières et autres, appropriées pour achever la solution informatique et la commercialiser, le cas échéant ;

- Capacité à évaluer de façon fiable les dépenses attribuables à la solution informatique au cours de son développement. »

Il faut souligner que, dès lors que ces six critères sont vérifiés, l'enregistrement en immobilisation incorporelle s'impose.

Calqué sur les conditions relatives aux frais de développements en général, le respect de ces critères est impératif et notamment « la capacité de la solution informatique à générer des avantages économiques futurs probables ».

Selon l'ancien Conseil national de la comptabilité, cette condition est satisfaite dès lors que l'entreprise est en mesure d'estimer que les recettes attendues de la commercialisation des solutions informatiques couvriront, au moins les frais correspondants à leur création, ainsi que leurs coûts probables de fonctionnement. Pour vérifier cette exigence, les entreprises doivent principalement s'appuyer sur leur business plan pour estimer les flux nets de trésorerie futurs, en établissant des prévisions de ventes et de rentabilité réalistes. Si la valeur actuelle de ces flux est inférieure aux coûts engagés, ces derniers ne peuvent être immobilisés. Cette procédure doit être renouvelée à chaque clôture d'exercice pour juger de la nécessité ou non de déprécier une solution informatique précédemment immobilisée.

Application aux start-up du secteur numérique

Les start-up « numériques » sont directement concernées : ce sont des entreprises en devenir, qui ont pour objectif de se développer rapidement en apportant des réponses novatrices aux besoins du marché dans des domaines comme les « marketplaces », les logiciels « SaaS », la « fintech » ou encore l'intelligence artificielle. L'écosystème de ces sociétés montre une vitalité remarquable, avec des taux de croissance substantiels, mais également des taux d'échecs significatifs.

Contrairement à une entreprise traditionnelle qui évolue sur un marché identifié, la start-up expérimente son business model, teste son marché et évolue de manière itérative. Elle peut ainsi éprouver des difficultés à établir des prévisions fiables. Ces entreprises se caractérisent par un fort besoin en financement à leur démarrage, dès alors qu'il leur faut concevoir un produit et recruter des développeurs avec des salaires souvent élevés. Malgré l'apport souvent non négligeable du crédit d'impôt recherche et/ou du crédit d'impôt innovation dans les résultats, la rentabilité et les bénéfices ne sont généralement pas au rendez-vous sur les premiers exercices
comptables.

Parallèlement, les fonds propres apportés par les fondateurs et éventuellement par des sociétés de capital-risque, ont été souvent complétés par d'autres financements : des prêts bancaires ou des subventions accordées par des organismes publics. Or ces avances, prêts ou subventions sont conditionnés par le niveau des fonds propres qui sont rapidement affectés à la baisse par des premiers résultats déficitaires en raison d'une insuffisance de chiffre d'affaires.

Se pose alors la question de la fiabilité des prévisions à partir desquelles les coûts des solutions informatiques ont été immobilisés et de l'éventuel enregistrement d'une dépréciation pour ces dernières, mais aussi celle de la régularité d'une inscription des coûts de développement futurs à l'actif d'une société qui peine à démontrer sa capacité à dégager des bénéfices.

En effet, dans la mesure où l'immobilisation des frais de développements des solutions informatiques améliore le résultat immédiat et donc les fonds propres, ce qui favorise l'intérêt des investisseurs et des prêteurs, certains dirigeants, plutôt que de réviser leur business model et de réduire leurs coûts, peuvent être tentés, par excès d'optimisme sur la rentabilité future, par ignorance des règles ou dans un but d'optimisation comptable, de continuer à les activer abusivement, au mépris du principe de prudence évoquée par l'art. L. 123-20 du Code de commerce.

Cette pratique peut entraîner des conséquences graves pour les dirigeants : outre le risque de tomber sous le coup du délit de « présentation de comptes annuels infidèles », ou de se voir reprocher, dans le cas où la société ferait l'objet d'une procédure collective, la « poursuite abusive d'une activité déficitaire », les dirigeants peuvent voir leur responsabilité civile mise en cause par des tiers (investisseurs, partenaires commerciaux, créanciers...) s'estimant lésés par une présentation inexacte de la situation financière de l'entreprise sur laquelle ils auront fondé leurs décisions.

Le respect des règles comptables, et notamment du principe de prudence, est de mise pour toutes les entreprises. Il l'est d'autant plus pour les start-up numériques évoluant dans un environnement complexe. La régularité comptable est essentielle pour garantir la transparence des comptes et la confiance des tiers, indispensables à la pérennité de la société.

Les experts-comptables sont à cet égard des conseils incontournables afin de faire comprendre aux dirigeants les règles applicables en la matière, tandis que les commissaires aux comptes jouent un rôle clé pour les tiers en certifiant cette régularité.