L'article 1799-1 du Code civil : la garantie de paiement du BTP
La Cour de cassation a récemment réaffirmé la force obligatoire de l'article 1799-1 du Code civil, en ce qu'il est un mécanisme efficace pour garantir le règlement d'un marché privé. L'occasion de faire le point sur cet outil méconnu mais puissant.
Si le premier trimestre 2025 semble marquer une accalmie des défaillances dans le BTP par rapport à l'année dernière, les carnets de commandes peinent encore à se remplir. Dans ce contexte économique incertain, les entreprises veillent particulièrement à leur niveau de trésorerie.
Cependant, les entreprises sont parfois confrontées à la faillite de leurs clients avant même d'avoir été payées.
Selon l'importance de la dette laissée, l'entreprise non réglée de ses travaux peut, à son tour, se trouver en difficulté, d'où l'intérêt de se prémunir de ce type de difficultés avant le démarrage du chantier.
C'est précisément l'objet de l'article 1799-1 du Code civil.
Champ d'application et assiette de la garantie
L'article 1799-1 du Code civil a été créé par la loi du 10 juin 19942 relative à la prévention et au traitement des difficultés d'entreprises.
Ce dispositif a été imaginé par le législateur pour éviter les défaillances d'entreprises du BTP dans l'hypothèse où le donneur d'ordres, maître d'ouvrage privé, se trouverait dans l'impossibilité de payer l'entreprise titulaire du marché.
Cet outil législatif s'applique à tous les marchés de travaux d'un montant supérieur à 12 000 euros HT conclus avec un maître d'ouvrage privé.
Sont concernés les maîtres d'ouvrage :
- Professionnels (promoteurs immobiliers, industriels, sociétés commerciales, professions libérales, commerçants...).
- Particuliers ou professionnels recourant à un crédit spécifique pour financer l'opération.
En revanche, sont exclus du champ d'application, les sociétés anonymes d'HLM et les sociétés d'économie mixte concernant la construction ou rénovation de logements à usage locatifs aidés.
Si l'article 1799-1 du Code civil s'applique pour les marchés supérieurs à 12 000 euros HT, l'assiette de la garantie doit porter quant à elle sur la totalité du montant du marché.
Concrètement, si un marché de travaux est conclu pour un montant de 100 000 euros HT, la garantie fournie par le maître d'ouvrage doit porter sur 100 000 euros HT.
Dans l'hypothèse où le montant du marché augmenterait en cours de chantier, en raison de travaux supplémentaires, le maître d'ouvrage devra fournir une garantie complémentaire égale au montant de ces travaux supplémentaires.
Date d'exigibilité de la garantie
Théoriquement, la garantie doit être fournie par le maître d'ouvrage à l'entreprise dès la conclusion du marché. En pratique, cela n'est quasiment jamais le cas.
Trop souvent, les entreprises n'exigent pas la fourniture de la garantie au moment de la conclusion du contrat, par crainte de « froisser » le maître d'ouvrage, ou tout simplement, par méconnaissance de ce mécanisme.
Cependant, la jurisprudence est constante, et quasi-systématiquement favorable aux entreprises, en ce que la garantie de paiement peut être réclamée tout au long du chantier et ce, même après la réception des travaux.
Concrètement, l'entreprise peut donc exiger du maître d'ouvrage la fourniture de la garantie de paiement, tant que le marché n'a pas été soldé, indépendamment même des éventuelles réclamations financières formulées à l'encontre de l'entreprise en fin de chantier.
Modalités pratiques et mise en œuvre de la garantie
L'article 1799-1 du Code civil prévoit trois formes de garantie possibles :
- Un paiement direct effectué par l'établissement prêteur au bénéfice de l'entrepreneur, si le marché est entièrement financé à l'aide d'un prêt spécifique. Cette forme de garantie est utilisée, le plus souvent, par les clients particuliers.
- Une garantie conventionnelle (hypothèque, consignation...), c'est-à-dire spécifiquement prévue par le marché de travaux. Cette modalité est peu usitée.
- Un cautionnement solidaire émanant d'un établissement bancaire si le maître d'ouvrage n'a pas eu recours à un crédit spécifique ou n'y a recouru que partiellement. C'est la forme la plus répandue.
Si le maître d'ouvrage n'est plus en mesure de payer l'entreprise, quelle qu'en soit la raison, l'établissement bancaire s'étant porté caution devra procéder au paiement des sommes non payées, au bénéfice de l'entreprise.
Cette garantie est particulièrement efficace puisque, même si le maître d'ouvrage disparaissait (par exemple après une liquidation judiciaire), l'entreprise titulaire du marché aurait la quasi-certitude d'être payée.
C'est tout l'intérêt de l'article 1799-1 du Code civil : éviter à l'entreprise de subir un impayé en cas de défaillance du maître d'ouvrage.
En pratique, certains maîtres d'ouvrage sont réticents, voire opposés, à la fourniture d'une telle garantie de paiement.
Pour dissuader les entreprises de réclamer l'application de l'article 1799-1 du Code civil, des clauses contractuelles sont parfois prévues dans les marchés, visant à écarter ou à conditionner la fourniture de la garantie de paiement.
Or, la jurisprudence est constante en ce qu'aucune clause contractuelle ne peut restreindre la portée de l'article 1799-1 du Code civil, texte
d'ordre public3.
Ainsi, par exemple, une clause contractuelle instituant une retenue de 10 % sur les situations de travaux en contrepartie de la fourniture d'une garantie devra être réputée non écrite.
Sanctions de l'obligation de fournir une garantie
Si aucune garantie de paiement n'est fournie par le maître d'ouvrage, l'entreprise peut suspendre l'exécution de son contrat, après une mise en demeure restée infructueuse passé un délai de quinze jours.
L'entreprise pourra même, dans certains cas, solliciter la résiliation du marché.
Très favorable aux entreprises du BTP, la jurisprudence4 considère que celles-ci peuvent, y compris en référé, solliciter du juge, par
voie reconventionnelle, la condamnation, sous astreinte, d'un maître d'ouvrage, à fournir une caution solidaire, si le solde du marché n'est pas complètement payé.
Le maître d'ouvrage ne pourra pas faire valoir une quelconque exception d'inexécution, telle que des malfaçons, pour « échapper » à cette disposition d'ordre public.
Trop souvent utilisée par les entreprises comme un outil-sanction, la garantie de paiement de l'article 1799-1 du Code civil devrait, au contraire, être utilisée comme un outil-prévention de lutte contre les impayés. À bon entendeur !
1- Cass. Civ. 3e 5 déc. 2024, n° 23-10.727.
2- Loi n° 94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés d'entreprises.
3- CA Grenoble ch com 27 juill. 2023 n°21/04947.
4- CA Grenoble ch com 27 janv. 2022, n° 21/02430.