Loyers impayés : l'équilibre instable entre protection des locataires et respect des droits des bailleurs
La réglementation des baux d'habitation, dans sa partie ayant vocation à encadrer les rapports entre les bailleurs et les locataires, est d'ordre public. En la matière, la liberté contractuelle est limitée par une volonté des législateurs successifs de protéger les cocontractants, à savoir tant les bailleurs que les locataires.
La protection de l'un entraîne-t-elle la frustration de l'autre ?
Les bailleurs peuvent se trouver en difficulté par des mois de non-paiement ou de paiement incomplet des loyers par leurs locataires, qui tantôt ne donnent plus signe de vie, tantôt leur promettent de régulariser la situation au plus vite mais sans tenir leurs engagements, tantôt règlent ou régularisent de manière irrégulière leurs loyers.
Nombre de bailleurs comptent sur les loyers encaissés pour régler les échéances d'un prêt immobilier contracté pour l'achat du logement mis en location, ainsi que pour payer charges et impôts attachés au dit bien. Ils ont alors le sentiment, pour le moins désagréable, de loger « à leurs frais » leurs locataires, ce qui n'est pas sans entraîner une forme palpable de frustration. Certains bailleurs à la retraite comptent sur ces loyers pour compléter leurs revenus. Enfin, pour d'autres, rentiers, les loyers perçus constituent leur unique source de revenus. Selon la situation financière du bailleur, le degré de frustration varie mais en toute hypothèse aucun bailleur ne souhaite mettre à disposition un logement dont il est propriétaire au bénéfice d'un locataire sans percevoir de loyer en contrepartie !
La situation des locataires est binaire.
Les locataires sont soit de bonne foi, rencontrant des difficultés financières les ayant empêchés de payer tout ou partie de leurs loyers, soit de mauvaise foi, et ils abusent de la protection que leur offre la réglementation en la matière.
Mise en application de la loi par le juge des contentieux de la protection
En application de l'article 24 de la loi du 06 juillet 1989, dans sa version issue de la loi du 27 juillet 2023, applicable aux conditions d'octroi des délais et de suspension des effets de la clause résolutoire, le juge peut, à la demande du locataire, du bailleur ou d'office, à la condition que le locataire soit en situation de régler sa dette locative et qu'il ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l'audience, accorder des délais de paiement dans la limite de trois années, par dérogation au délai prévu au premier alinéa de l'article 1343-5 du Code civil. Précision est ici donnée qu'avant l'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014, venue modifier l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989, les délais de paiement étaient de deux ans maximum.
En cas d'impayé ou si le locataire ne se libère pas de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixées par le juge, la suspension des effets de la clause résolutoire prend fin et l'expulsion des locataires pourra être mise en œuvre.
Mais si les locataires se présentent à l'audience en justifiant qu'ils se sont acquittés du loyer courant, qu'ils ont réglé l'intégralité de la dette locative, exécutant ainsi les délais de paiement auxquels ils pouvaient prétendre, le juge compétent, à savoir le juge des contentieux de la protection, leur accordera très probablement le principe des délais de paiement (dès lors fictifs), pourra suspendre les effets de la clause résolutoire et constater que les délais de paiement ont d'ores et déjà été respectés, si bien que la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais joué.
L'expulsion très généralement demandée par le bailleur en cas de défaut de paiement des loyers ne sera par suite très vraisemblablement pas prononcée par le juge, si le locataire est à jour du paiement des loyers courants et de l'arriéré locatif au jour de l'audience. Le jugement une fois rendu, et sous réserve de devenir définitif dès lors qu'il n'en est pas interjeté appel, met un terme à la procédure.
Cela signifie que si le locataire arrête, de nouveau, de payer ses loyers postérieurement au jugement rendu, la procédure devra être recommencée intégralement par le bailleur.
La procédure d'expulsion est longue et contraignante
La procédure débute généralement par la délivrance d'un commandement aux locataires de payer et/ou d'avoir à justifier de la souscription de l'assurance du logement. Plusieurs semaines s'écoulent ensuite avant de pouvoir saisir le juge avec une date d'audience ne pouvant être fixée avant un délai de plusieurs semaines afin que l'assignation délivrée au locataire soit notifiée au représentant de l'État, lorsque le logement constitue la résidence principale des locataires.
La loi du 27 juillet 2023 a néanmoins modifié l'article 24 de la loi du 06 juillet 1989, qui prévoit désormais que pour les baux d'habitations signés à partir du 29 juillet 2023, le délai accordé au locataire pour payer sa dette, après réception d'un commandement de payer, n'est plus de deux mois mais de six semaines. Il est donc important pour les bailleurs de modifier la clause résolutoire contenue dans leurs nouveaux contrats de location en conséquence. Cela permet de délivrer une assignation pour solliciter le paiement des loyers et l'expulsion des locataires deux semaines plus tôt.
Étant précisé que ces dispositions de la loi du 27 juillet 2023 ne s'appliquent pas immédiatement aux contrats en cours, qui demeurent régis par les stipulations des parties, telles qu'encadrées par la loi en vigueur au jour de la conclusion du bail.
Il peut donc être frustrant pour un bailleur, subissant de la part de son locataire des arriérés récurrents de loyers, d'engager une procédure relativement longue et qui a un coût pour finalement obtenir un jugement, qui certes va ou lui aura permis d'obtenir l'encaissement des loyers dus par son locataire mais pas l'expulsion de ce dernier.
Inversement, les locataires qui font l'effort de rétablir leur situation financière, en reprenant le paiement du loyer courant se trouvent soulagés de pouvoir se maintenir dans les lieux loués, au surplus dans un contexte où trouver un logement à louer est souvent difficile. L'équilibre dans les relations entre les bailleurs et les locataires se trouve alors rétabli permettant une poursuite sereine des relations contractuelles, au prix néanmoins d'une procédure judiciaire.
À défaut de payer les loyers dus, les locataires finissent néanmoins par être expulsés, mais le délai entre la délivrance du commandement de payer et l'expulsion à proprement parler est long et ponctué d'étapes incompressibles pouvant durer plusieurs mois voire souvent des années. Les réformes successives sont globalement tournées vers le maintien du locataire dans le logement, au prix sans nul doute d'un allongement de la procédure, les délais ainsi prévus ayant vocation, en principe, à trouver une solution de paiement des loyers impayés.
Une des conséquences à ce contexte réglementaire
Interrogés sur le sujet, certains bailleurs ont pu exprimer, en dehors de l'aspect légal du règlement de leur cas d'espèce, leur perception d'une différence de traitement faite entre des infractions pénales donnant lieu à des sanctions et l'absence de sanction des locataires ne respectant pas leurs engagements contractuels. En effet, dans l'esprit de certains bailleurs, la condamnation des locataires à régler leurs loyers ne suffit pas à les indemniser les longs mois consacrés à la gestion du contentieux.
Par suite, le marché locatif, déjà fragile, trouve de nouvelles causes au déséquilibre entre l'offre et la demande. Les bailleurs souvent déçus, après avoir pu péniblement reprendre possession de leur logement (parfois en plus dégradé), peuvent alors légitimement être tentés d'arrêter les locations à l'année, fortement encadrées par une réglementation stricte, pour se tourner vers des locations de courtes durées, ce qui rend la quête d'un logement stable encore plus difficile, pour les locataires.