La fiscalité des cryptomonnaies

par Me Jonathan Kirchmeier
Mercredi 14 mai 2025

Les cryptomonnaies, telles que le bitcoin, l'ethereum et les nombreux « altcoins », constituent une classe d'actifs très particulière. Elles sont caractérisées par leur très forte volatilité entraînant des gains, mais aussi des pertes, pouvant être très rapides et très conséquents. Elles comportent donc à ce titre un risque majeur pour les investisseurs non avertis.

Les cryptomonnaies ont connu un essor spectaculaire ces dernières années et particulièrement depuis la deuxième partie de l'année 2024, marquée par une hausse importante des valeurs des principales cryptomonnaies (suivie d'une baisse presque aussi importante depuis le début de l'année 2025), ayant attiré une multitude de nouveaux investisseurs.

L'espoir de rendements élevés, la méfiance envers les acteurs traditionnels et institutionnels, ou encore la décentralisation qui les caractérise sont autant d'arguments qui alimentent ce mouvement. S'y ajoute également le développement de fonds indiciels (ETF), qui permettent de bénéficier (ou de subir) les variations de cours de certaines cryptomonnaies sans les détenir directement. Plus récemment l'arrivée au pouvoir aux États-Unis d'un président ouvertement favorable à cet univers a également contribué à alimenter ce vent d'optimisme.

Au-delà des risques inhérents à ce type d'investissement, l'investisseur fiscalement domicilié en France ne peut faire l'économie de l'étude d'une fiscalité qui, sous couvert d'une simplicité apparente, recèle en réalité un certain nombre de pièges.

Le principe de la flat tax sur les plus-values

En France, les plus-values réalisées par les particuliers sur la vente de cryptomonnaies sont soumises à un régime fiscal particulier. Les gains sont considérés comme des plus-values de cession d'actifs numériques et sont donc soumis à un impôt sur le revenu, dans le cadre d'un régime unique : la flat tax. Son régime est prévu par l'article 150 VH bis du Code général des impôts.

Également appelée « prélèvement forfaitaire unique » (PFU), la flat tax a été instaurée en 2018 pour simplifier la fiscalité des revenus du capital. Elle s'applique aux plus-values réalisées lors de la vente de différents types d'actifs, dont les cryptomonnaies. Son taux est fixé à 30 %, incluant les cotisations sociales (17, 2 %) et l'impôt sur le revenu (12, 8 %) sur la différence entre le prix de vente et le prix d'acquisition. Il s'applique quelle que soit la durée de détention des actifs, contrairement aux plus-values mobilières classiques qui peuvent bénéficier d'un abattement après un certain nombre d'années.

Les difficultés liées à la détermination du prix d'acquisition

Contrairement au prix de vente, qui est relativement simple à déterminer (il s'agit du prix effectivement perçu, diminué des frais liés à l'opération), la détermination du prix d'acquisition contient deux étages de complexité.

Tout d'abord, lors de la première vente, ce prix d'acquisition est constitué par « le produit du prix total d'acquisition de l'ensemble du portefeuille d'actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille ». En clair, il convient de déterminer la fraction du portefeuille ayant fait l'objet d'une vente (ce qui suppose donc de déterminer la valeur exacte, au jour de chaque cession de l'ensemble des actifs détenus, et sur l'ensemble des comptes si l'on en détient plusieurs, ce qui constitue un vrai casse-tête à reconstituer a posteriori si cette démarche n'est pas réalisée à l'instant de la vente), et d'appliquer cette même proportion à l'ensemble du coût d'acquisition du portefeuille.

Si je vends un actif représentant 10 % de mon portefeuille, je dois déterminer combien m'ont coûté 10 % du total des actifs de ce portefeuille, et non combien m'a coûté celui que je revends.

Exemple : Marie acquiert deux cryptomonnaies A et B pour 1 000 € chacune (soit 2 000 € au total). Au bout d'un an, ses jetons A valent 10 000 €, tandis que ses jetons B ne valent plus que 100 € (valeur totale du portefeuille : 10 100 €). Elle décide alors de se séparer de son mauvais investissement. Le prix de vente est bien de 100 €, elle a donc vendu 100/10 100 de son portefeuille. Le prix d'acquisition à prendre en compte est donc de 2 000 x 100 / 10 100 = 19, 80 €.

Elle réalise donc une plus-value taxable de 100 - 19, 80 = 80, 20 €, alors même qu'elle a vendu 100 € un actif acquis 1 000 €. Ce mode de calcul revient à taxer indirectement la plus-value latente sur les autres actifs qui n'ont pas été vendus.

Le second étage de complexité se retrouve lors des ventes ultérieures : le prix total d'acquisition reste constitué de la somme totale d'acquisition, y compris des actifs ayant été cédés lors des premières ventes, mais diminué des prix d'achat déjà déduits.

Dans notre exemple, si Marie décide ensuite de vendre la moitié de ses jetons B pour sécuriser une partie de sa plus-value, son prix de vente sera de 5 000 €. Son prix d'acquisition devra quant à lui tenir compte de la totalité des prix d'acquisition, soit 2 000 €, diminué du montant déjà comptabilisé dans la précédente cession.

Le calcul sera donc le suivant : prix d'acquisition = (2 000 [prix d'acquisition de tout le portefeuille] - 19, 80 [prix d'acquisition déjà déduit dans une première vente]) divisé par 2, (puisqu'elle vend la moitié de son portefeuille restant) = 990, 10 €.

Ce mode de calcul suppose donc nécessairement de connaître le coût d'acquisition de l'ensemble des actifs, chaque prix de revente, mais également la valeur totale de l'ensemble des actifs numériques à la date de chaque vente.

Les stablecoins : une alternative moins volatile, mais pas sans risques

Il est important de préciser que ces calculs ne s'appliquent qu'à la cession d'actifs numériques en échange de monnaie ayant cours légal (par exemple l'euro ou le dollar) ou de tout autre bien ou service.

En revanche, les échanges entre cryptomonnaies ne constituent pas un « événement taxable » et restent donc parfaitement neutres, la nouvelle cryptomonnaie prenant simplement la place de celle échangée et le prix d'acquisition à retenir reste celui ayant permis l'acquisition du premier jeton.

Or, il existe une catégorie particulière de cryptomonnaie appelée « stablecoins ». Il s'agit de jetons numériques, dont la qualité ne réside pas dans son potentiel de croissance, mais dans sa capacité à conserver une valeur aussi proche possible de leur monnaie de référence. Ces stablecoins sont particulièrement prisés des investisseurs, car ils permettent de réaliser des arbitrages à l'intérieur du portefeuille, en vendant un actif dont on souhaite se séparer sans projet particulier de réinvestissement immédiat, le tout sans déclencher un « événement fiscal ».

Il ne faut cependant pas s'y tromper : même s'ils sont théoriquement « stables », les stablecoins ne sont pas sans risques. Leur fiabilité dépend de la solidité des mécanismes de régulation et des réserves de collatéral qui les soutiennent. Certaines entreprises ayant émis des stablecoins ont été confrontées à des scandales ou à des accusations de manque de transparence sur la couverture de leurs réserves.

La loi Mica : un cadre de régulation pour les stablecoins

Pour répondre à ces difficultés, la loi Mica (Markets in crypto-assets), adoptée par le Parlement européen en 2023, entrée en vigueur le 30 décembre 2024, vise à créer un cadre juridique harmonisé pour les cryptomonnaies et les actifs numériques au sein de l'Union européenne. Elle cherche notamment à encadrer la gestion des stablecoins, en imposant des règles strictes pour garantir leur stabilité et leur solvabilité et impose leurs émetteurs d'obtenir un agrément spécifique.

Cet agrément sera conditionné à la démonstration qu'ils disposent de réserves adéquates pour garantir la valeur de leurs jetons, tout en respectant des règles de transparence accrues.

Un cadre fiscal à la fois attractif et complexe

La fiscalité des cryptomonnaies en France est encore en développement, et les investisseurs doivent rester attentifs aux évolutions législatives et réglementaires. Le système de flat tax facilite les déclarations fiscales, mais la gestion des plus-values peut s'avérer complexe pour ceux qui réalisent de nombreuses transactions. Les stablecoins, quant à eux, représentent une alternative intéressante, mais leur stabilité à long terme reste à confirmer.