Rwanda : mémoires d'un paysage intérieur
Photographie / À travers une exposition douloureuse et nécessaire, Paloma Laudet explore la complexité mémorielle et l'identité contemporaine d'un Rwanda hanté par le génocide, là où l'intime croise l'histoire collective pour interroger les voies de la résilience.

Photo : Bisesero, Rwanda, le 3 avril 2024 © Paloma Laudet /item
Le Rwanda contemporain, terre encore marquée par les stigmates du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994, apparaît dans les photographies de Paloma Laudet comme un territoire de mémoires latentes : ces lieux, ces visages, recèlent des horreurs inhumaines que l'esprit même peine à concevoir.

Un regard sensible sur l'indicible
La démarche artistique de la photographe du collectif item relève du documentaire sensible, inscrite dans une esthétique de la pudeur. Les images, porteuses des stigmates souvent invisibles, et suggèrent plus qu'elles ne révèlent explicitement. Ici, les portraits et scènes du quotidien invitent à lire entre les lignes, à percevoir dans le regard des jeunes Rwandais une douleur héritée, souvent inexprimée mais omniprésente. Et l'indicible - à savoir ce qui résiste à toute articulation dans le verbal - germe a posteriori, dans les légendes qui accompagnent la visite.
La génération du non-dit
Le cœur de cette série photographique réside dans sa focalisation sur une génération née après les massacres. Laudet explore ainsi le phénomène complexe du traumatisme transgénérationnel, cette empreinte invisible du passé qui modèle pourtant profondément la psyché collective du pays. À travers des témoignages recueillis, la photographe révèle comment le silence autour du génocide imprègne la vie quotidienne, crée des tensions souterraines, mais aussi des liens inattendus de solidarité et de réconciliation.

L'art comme vecteur de mémoire
Par son travail minutieux de documentation visuelle, Laudet inscrit sa démarche dans la tradition humaniste d'une photographie documentaire tournée vers l'intime, rejoignant les questionnements éthiques de photographes tels que James Nachtwey ou Sebastião Salgado. Mais contrairement à ces grands maîtres du reportage frontal, elle se place dans une esthétique plus méditative, enveloppant les images dans un voile empreint du poids du temps. Un voile que seul un regard courageux pourrait soulever.
Rwanda, Congo : une frontière poreuse
Dans cette démarche de questionnement artistique et mémoriel, la photographe pousse plus loin son exploration en franchissant symboliquement la frontière avec la République Démocratique du Congo (RDC). Ce prolongement géographique n'est pas anodin : il illustre comment les blessures du génocide ont largement dépassé les frontières du Rwanda, prolongeant la violence et les conflits dans la région des Grands Lacs. Les récents affrontements impliquant le groupe armé M23 témoignent ainsi d'une histoire traumatique persistante, un héritage tragique dont Laudet rend compte avec subtilité et acuité.

Une esthétique de la résilience
Cette exposition ne se contente pas de témoigner d'une histoire tragique. Elle pose, à travers des choix esthétiques réfléchis, la question essentielle de la résilience collective, dans un contexte politique qui reste très autoritaire. Chaque image devient alors une invitation à contempler comment, après l'indicible, une société peut tenter de se reconstruire et trouver, dans l'art et la mémoire, une voie vers une paix durable.
Ainsi, le Rwanda que nous donne à voir Paloma Laudet est à la fois réel et intérieur, profondément marqué par l'histoire, mais aussi porté par une aspiration à surmonter le traumatisme grâce à la force de l'art.
Ejo. Rwanda entre hier et demain par Paloma Laudet
Jusqu'au 28 juin 2025 à Item galerie (Lyon 1er) ; entrée libre