Dans les pas chancelants de Christine Pawlowska

Publié Jeudi 9 octobre 2025

Essai / La période est à la réhabilitation des figures féminines injustement oubliées. Avec douceur et minutie, Pierre Boisson s'est attaché à retracer le parcours météore de Christine Pawlowska, autrice d'un unique ouvrage, inégalé.

Photo : Pierre Boisson ©Astrid di Crollalanza

C'est avant tout l'histoire d'une rencontre - par l'entremise de la littérature - défiant à la fois le temps et la mort. Pierre Boisson était jeune père lorsqu'il est tombé par hasard sur l'ouvrage publié en 1974, Écarlate de Christine Pawloswka. L'auteur de l'enquête culte de Society sur Xavier Dupont de Ligonnès (et d'un ouvrage consacré au même sujet) est tombé en émoi. Il a dévoré la centaine de pages, attrapé par la violente nudité du texte, la fulgurance des réflexions de la jeune autrice qui raconte son rapport à la mort, à l'adolescence, à l'amitié, à l'amour. Il s'est interrogé : pourquoi a-t-elle disparu ?

Souffrance

 « Un chef-d'œuvre du genre. Quel genre ? Le genre chef-d'œuvre » : c'est ainsi que la célèbre plume du Figaro littéraire, figure du Nouveau roman et fils de François Mauriac, Claude Mauriac, a qualifié Écarlate. La protégée de Simone Gallimard a été adoubée par toutes et tous, des pointures du monde intellectuel à des figures plus rassurantes : Ménie Grégoire pour ne citer qu'elle. Pourtant, Pierre Boisson a rencontré des difficultés à retracer la vie - très secrète - de l'autrice. Un ex, un frère, deux fils... Au gré de ses périples dans l'hexagone, il a fini par entretenir des contacts réguliers avec bon nombre de ceux qui partagèrent la vie de Christine Pawlowska, décédée en 1996. Elle fut tourmentée de l'enfance à la mort, solitaire, « romantique à l'extrême », tantôt bouillonnante et passionnée, tantôt suicidaire. Elle côtoya plusieurs hommes, pour la plupart violents, dépréciateurs et manipulateurs. Plusieurs fois Christine Pawlowska a essayé de reprendre l'écriture, mais plus elle tardait, plus elle était abîmée. « Cet idéal selon lequel il fallait vivre de manière absolue, ce commandement à se réaliser entièrement, ressemblait de plus en plus à un piège », détaille Pierre Boisson dans l'ouvrage.

« Injustice littéraire »

À plusieurs reprises, elle a tenté de se séparer de tout. Parents, amant, (rares) amis. De quoi souhaitait-t-elle faire table rase, quelle ombre la poursuivait qui aurait nécessité une rupture aussi nette, une ablation de tout ? Le traumatisant secret, exposé dans l'un des derniers chapitres, agit sur le récit comme une déflagration. Au-delà du génie incontestable de Christine Pawlowska, on comprend mieux l'urgence d'écrire et celle, paradoxale, de s'autodétruire.

Pierre Boisson cite régulièrement Virginia Woolf dans l'ouvrage, rappelant à quel point il fut, et il est toujours par bien de manières, plus difficile pour une femme d'exister en tant qu'artiste. Surtout pour celles qui inconfortent, tant par leur style que par leur propos. Il regrette que le travail de Christine Pawlowska ne soit pas passé à la postérité comme il le mérite, rappelant au travail de Sarah Al-Matary Deux célèbres inconnues, le mystère Jeanne Weil(l), que nous chroniquions dans ces pages il y a quelques mois. S'il a longtemps espéré trouver un manuscrit pour tenter une "résurrection" de son œuvre - à l'instar de celle dont bénéficia Hélène Bessette -, force est de constater qu'il fit chou blanc. Il n'a retrouvé de Christine Pawlowska que quelques poèmes, dont le dernier se conclut par ces mots : « La nuit s'irrite et puis s'enflamme. Ma main n'est plus qu'un cri muet, deuil d'un poème pour mon âme et que jamais je n'écrirai. »

Pierre Boisson a livré un portrait solide de son sujet. Ni mélioratif, ni misérabiliste, il rend un juste hommage à sa muse, permettant à ses lectrices et lecteurs de tirer eux-mêmes les conclusions qui s'imposent : il est un monde où Christine Pawlowska aurait pu écrire un second ouvrage, il est un monde où Christine Pawlowska n'aurait pas été brisée par les violences patriarcales.

Flamme, volcan, tempête - Un portrait de Christine Pawlowska par Pierre Boisson (aux éditions du Sous-sol) ; 21€
Rencontre jeudi 16 octobre 2025 à 19h à la librairie L'Astragale (Lyon 6e) ; gratuit

Pierre Boisson

Pour son livre Flamme, volcan, tempête - Un portrait de Christine Pawlowska. Dans son nouvel ouvrage, le journaliste Pierre Boisson retrace son enquête pour découvrir la vie de l'autrice Christine Pawlowska, oubliée jusqu'à ce que Pierre Boisson ne redécouvre son roman Écarlate, originellement publié en 1974 avant de tomber dans l'oubli.