Créer ou reprendre une entreprise : deux chemins pour entreprendre

par Me Kcenia Lombard
Vendredi 6 juin 2025

En 2024, près de 285 000 sociétés ont été créées en France selon l'INSEE, preuve de l'engouement entrepreneurial. Dans le même temps, des milliers d'entreprises existantes cherchent un repreneur. Créer ou reprendre : quelle stratégie adopter pour se lancer dans les meilleures conditions ?

Deux tendances fortes : créer ou reprendre, deux dynamiques distinctes

La création d'entreprises est en hausse régulière depuis plusieurs années, ce qui traduit une appétence forte pour l'entrepreneuriat : de plus en plus de Français franchissent le pas pour bâtir leur propre activité, avec un projet structuré et une vraie volonté de s'inscrire dans la durée. Créer une société, c'est affirmer une ambition, se projeter, poser les bases d'un modèle économique pérenne.

Mais cette dynamique, aussi enthousiasmante soit-elle, ne doit pas faire oublier une autre réalité : des milliers d'entreprises solides ferment faute de repreneur. Chaque année, environ 145 000 entreprises sont disponibles à la reprise en France, selon la CCI France. Et dans la majorité des cas, il s'agit de petites structures, parfois rentables, souvent enracinées localement, mais dont les dirigeants, en fin de parcours professionnels, peinent à passer la main.

Créer ou reprendre, ces deux voies répondent à des logiques différentes mais poursuivent un objectif commun : entreprendre. Si la création séduit par sa liberté, la reprise offre un raccourci vers la stabilité. Encore faut-il connaître les atouts et les contraintes de chaque option pour choisir celle qui correspond le mieux à son profil.

Créer son entreprise : liberté et agilité... mais solitude et exposition

Créer son entreprise, c'est souvent répondre à un appel intérieur : celui de la liberté, de l'autonomie, de la réalisation d'une idée personnelle. C'est aussi l'option la plus rapide à mettre en œuvre. Une fois le projet défini, il faut compter environ un mois entre la rédaction des statuts, le dépôt de capital, la signature des documents et l'immatriculation sur le guichet unique de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Le parcours est balisé, les démarches administratives largement dématérialisées.
Mais cette apparente simplicité ne doit pas masquer l'ampleur du travail à fournir pour bâtir une activité viable.

Le créateur d'entreprise doit tout poser : le bon statut juridique (entreprise individuelle, SAS ou SARL, avec des implications sociales et fiscales distinctes), le positionnement de son offre, la définition de sa cible, sa stratégie de communication. Lancer une société revient à construire, seul ou presque, une marque, une crédibilité, une légitimité. Cela demande du temps, de la constance et une grande capacité d'adaptation.

Cette liberté totale peut aussi devenir un piège : sans cadre, on risque de se disperser, de multiplier les idées sans jamais vraiment en concrétiser une seule. Le succès repose souvent sur une stratégie claire, un message fort et une offre lisible. Concentrer son énergie sur une seule problématique, un seul produit ou service à forte valeur ajoutée permet de tester rapidement son marché sans s'épuiser.

L'un des grands avantages de la création réside dans sa souplesse financière. Dans certaines activités, notamment dans les prestations de services, il est possible de démarrer sans financement externe, en limitant les frais fixes. Le fondateur avance à son rythme, sans contrainte salariale, sans charges liées à une reprise de locaux ou d'équipement. Le porteur de projet conserve la main sur tous
les paramètres.

Enfin, créer une société, c'est ne dépendre de personne. Contrairement à une reprise, où le cédant peut changer d'avis jusqu'à la signature du compromis, le créateur reste maître de son calendrier. Cette autonomie, très appréciée des profils indépendants, s'accompagne cependant d'un isolement certain. D'où l'intérêt de bien s'entourer et de ne pas sous-estimer l'importance d'un accompagnement stratégique dès les premières étapes.

Reprendre une entreprise : un raccourci vers la croissance... mais pas sans précautions

Reprendre une entreprise, c'est faire le choix d'intégrer un système déjà en place. Un local, des salariés, une clientèle fidèle, des outils de gestion, une organisation : autant d'éléments concrets qui peuvent permettre de démarrer fort, sans passer par la phase - parfois longue - de prospection et de notoriété.

Contrairement à une création, la reprise donne accès à des éléments tangibles : les bilans, les contrats en cours, le positionnement de l'entreprise sur son marché. Elle offre une lisibilité rare pour un entrepreneur. Mais attention : ce gain de temps ne se fait pas sans contrepartie.

Reprendre une entreprise demande un travail d'analyse rigoureux. Il ne s'agit pas seulement de racheter une clientèle, mais tout un écosystème : méthodes internes, culture d'entreprise, réputation, outils numériques... Le processus de reprise est plus long et plus complexe qu'une création. Il faut compter en moyenne entre douze et dix-huit mois entre le premier contact et la signature des actes de cession. Durant cette période, il est essentiel, entre autres, de rencontrer le cédant, de visiter les locaux, de comprendre les motivations de la transmission (départ à la retraite ou baisse d'activité ?), de vérifier la conformité des documents juridiques et comptables, et de s'assurer qu'aucun contentieux n'est en cours.

L'accompagnement par des professionnels (avocat, expert-comptable) est fortement recommandé. Il permet d'anticiper les risques, y compris sur des sujets très précis : locaux non conformes aux normes d'accessibilité, contrats commerciaux contenant une clause de résiliation automatique en cas de changement de contrôle, ou encore des dettes fiscales ou sociales non déclarées pouvant être transférées à l'acquéreur.

Lorsqu'une entreprise est cédée, les contrats de travail en cours sont automatiquement transférés au repreneur. Ce transfert, prévu par l'article L.1224-1 du Code du travail, est de droit : l'acquéreur ne peut en principe ni s'y opposer, ni modifier les contrats de manière unilatérale. Cela garantit aux salariés la continuité de leur emploi, mais oblige aussi le repreneur à bien anticiper leur intégration.
Avant toute reprise, il est donc indispensable d'étudier les contrats de travail et les bulletins de paie, afin d'identifier d'éventuels avantages (primes, usage d'entreprise...) ou particularités contractuelles pouvant impacter le futur fonctionnement.

Enfin, la reprise a une dimension humaine souvent sous-estimée. Derrière une entreprise, il y a un dirigeant, parfois fondateur, qui a mis toute son énergie dans son activité. La transmission est une étape émotionnelle : beaucoup de cédants affirment vouloir partir... mais repoussent l'échéance. Créer une relation de confiance, rassurer sur le sérieux du projet de reprise, valoriser leur histoire, tout cela fait partie intégrante du processus. Reprendre, c'est donc aussi savoir composer avec les émotions et les résistances, sans perdre de vue l'objectif : assurer une transition efficace et pérenne.

Une troisième voie : mixer création et reprise

Pourquoi choisir si l'on peut combiner ? Certains entrepreneurs lancent d'abord leur projet pour tester un modèle, puis accélèrent leur développement en rachetant une activité complémentaire. Cette stratégie offre l'avantage d'un socle éprouvé - équipe, savoir-faire, clientèle - tout en conservant la liberté d'y apporter une nouvelle vision. La reprise devient alors un levier de croissance externe, un moyen de se doter rapidement d'un portefeuille clients, d'une équipe opérationnelle ou d'un savoir-faire difficile à recréer. À l'inverse, certains choisissent la reprise dès le départ, avec l'ambition d'apporter une vision nouvelle à une structure existante.

Dans tous les cas, le succès repose sur une bonne préparation. Créer ou reprendre demande méthode, lucidité et réalisme. L'essentiel reste l'adéquation entre le porteur de projet et l'entreprise ciblée : c'est ce lien qui assure la solidité du projet sur le long terme.

Créer ou reprendre, c'est avant tout une aventure humaine. À chacun de choisir la voie qui lui correspond... ou de combiner les deux.