Le décès du dirigeant associé unique : une situation peu documentée

par Merveille Tchibozo et Jocelin Rivoire
Mardi 10 juin 2025

La perte d'un dirigeant n'est pas seulement une tragédie humaine : c'est aussi un choc organisationnel et financier majeur. Elle peut engendrer une désorganisation brutale, une perte de confiance des partenaires commerciaux et un risque accru d'interruption des activités.

Malgré l'importance du sujet, les conséquences du décès d'un dirigeant sur la gestion de son entreprise restent peu traitées. Pourtant, les statistiques indiquent qu'environ 35 % des entreprises non assurées cessent leur activité dans les dix-huit mois suivant la disparition ou l'incapacité d'une personne clé.

La transmission juridique du patrimoine

L'article 724 du Code civil dispose que les héritiers légaux reçoivent automatiquement les biens, droits et actions du défunt. En l'absence de testament ou de donation, ce sont les descendants, les ascendants et le conjoint survivant qui deviennent héritiers. Ils doivent également assumer les dettes du défunt. Cette transmission automatique peut entraîner des situations complexes si la succession n'a pas été anticipée. Une planification successorale permettrait de mieux organiser la répartition des actifs professionnels et personnels.

Le décès d'un chef d'entreprise, souvent perçu comme un événement lointain, peut pourtant avoir de graves conséquences s'il n'est pas anticipé, notamment en cas d'absence d'organisation successorale. La transmission non préparée peut générer des litiges familiaux, une instabilité juridique et une perte de valeur pour l'entreprise.

Les conséquences juridiques
selon la forme de l'entreprise

Dans une entreprise individuelle, l'entrepreneur et l'entreprise sont juridiquement confondus. Le décès de l'entrepreneur peut entraîner l'arrêt brutal de l'activité, les biens professionnels faisant partie de la succession. Les ayants droit se retrouvent alors confrontés à des démarches complexes pour liquider ou poursuivre l'activité. Cette forme de structure expose fortement l'entreprise aux imprévus liés à la vie du dirigeant.

Dans une société (SARL, SAS), l'entité juridique est distincte. Le décès du dirigeant ne met pas fin à l'activité, Mais cela peut compliquer la gestion et la transmission si aucune mesure n'a été prévue en amont. La nomination d'un nouveau dirigeant peut prendre du temps et perturber le fonctionnement de l'entreprise. Il est donc essentiel de prévoir dans les statuts ou par voie de résolution les modalités de remplacement en cas de décès.

Le blocage bancaire : un risque majeur

Lorsque le dirigeant est l'unique mandataire autorisé à faire fonctionner le compte bancaire, son décès entraîne un blocage automatique. Les procurations sont annulées et aucun mouvement n'est possible avant l'établissement de l'acte de notoriété par le notaire. Cela peut conduire à la paralysie de l'entreprise : salaires impayés, fournisseurs non réglés, impôts délaissés. La trésorerie devient inaccessible, compromettant la survie à court terme. Ce blocage peut être évité en mettant en place des mécanismes d'autorisation bancaire partagée ou une cogérance opérationnelle.

Anticiper la succession pour maintenir l'activité

L'Association nationale des sociétés par actions (Ansa) reconnaît la possibilité d'anticiper la succession du dirigeant dans les statuts ou l'acte de nomination. Cette prévision permet une transition rapide et sécurisée. Il est ainsi possible de désigner un successeur d'avance, ce qui évite les blocages juridiques au moment critique. La continuité de l'exploitation repose alors sur une gouvernance bien pensée et des dispositifs juridiques solides.

Les conséquences fiscales

Dans une entreprise individuelle, le décès est considéré comme une cessation d'activité, entraînant l'imposition immédiate des bénéfices. Des régimes d'exonération prévus par l'article 151 septies ou l'article 41 du CGI peuvent être sollicités. Toutefois, leur mise en œuvre suppose une bonne anticipation et une situation conforme aux conditions d'éligibilité. Il est recommandé de faire appel à un expert pour bénéficier pleinement de ces dispositifs.

Dans une société, le décès du dirigeant ne modifie pas la fiscalité courante mais peut entraîner un profit exceptionnel, par exemple en cas de versement d'assurance-décès liée à un emprunt. Ce profit est soumis à l'impôt sur les sociétés. Or, il ne correspond à aucune entrée de trésorerie, ce qui peut créer un poids financier difficile à supporter.

Les droits de succession, quant à eux, sont calculés sur la valeur de la société au jour du décès. Cette valorisation peut constituer une charge importante pour les héritiers, surtout si elle n'est pas accompagnée de liquidités. Une mauvaise gestion de ces aspects peut compromettre la pérennité de l'entreprise transmise.

Outils pour préparer la transmission

Plusieurs dispositifs permettent d'anticiper efficacement la succession :

- Le démembrement des actions ou parts sociales, qui sépare usufruit et nue-propriété,

- Le pacte Dutreil, permettant une réduction importante des droits de mutation à titre gratuit,

- Le testament, bien que soumis aux règles contraignantes du droit des sociétés,

- Le mandat à effet posthume, par acte notarié, qui confie temporairement la gestion à un mandataire,

- La délégation de pouvoir à un cadre de confiance,

- L'assurance « homme clé » pour compenser les pertes liées au décès,

- Les contrats de prévoyance spécifiques adaptés à l'organisation.

Le mandat à effet posthume est particulièrement utile pour assurer la continuité de l'entreprise pendant la phase de transmission successorale. Il prend effet dès l'acceptation de la succession par les héritiers. La clause statutaire précisant ce mécanisme est un élément clé de sécurité.

La cogérance et la présidence de substitution

La cogérance peut être prévue dès la création de la société. Elle permet la continuité de la gestion en cas de défaillance du gérant principal. Le cogérant peut alors assurer la direction sans interruption, à condition que les formalités de publicité aient été réalisées. Cette mesure simple permet une réactivité face aux imprévus.

Dans une SAS, les statuts peuvent prévoir un président de substitution, désigné dès l'origine. Cette flexibilité statutaire constitue un avantage majeur pour assurer une gouvernance continue. Elle représente une garantie de stabilité pour les associés, les salariés et les partenaires extérieurs.

Conclusion

Le décès d'un dirigeant ne doit pas être un sujet tabou. L'anticipation des conséquences et l'organisation rigoureuse de la succession permettent de préserver l'activité, protéger les héritiers et garantir une transmission sereine. Des solutions existent, souvent simples, accessibles et efficaces, pour peu qu'elles soient mises en place à temps avec l'accompagnement de l'expert-comptable, d'un notaire et ou d'un avocat. Agir en amont permet non seulement d'assurer la pérennité de l'entreprise, mais aussi de sécuriser les intérêts de toutes les parties prenantes : héritiers, salariés, partenaires et clients.