Grégoire Potin « chaque concert doit être mémorable »

Mardi 17 juin 2025

Anniversaire / L'Épicerie moderne, scène emblématique labellisée SMAC et dédiée aux musiques actuelles, fêtera ses 20 ans en septembre prochain. Retour sur ses spécificités, ses évolutions et ses enjeux avec son directeur et coordinateur depuis 2022, Grégoire Potin.

Photo : Grégoire Potin ©Marion Bornaz

Le Petit Bulletin : Vous avez accepté ce poste après avoir officié en tant que manager d'artistes internationaux, et après avoir été programmateur pour des festivals en Suisse ainsi que coordinateur à Bizarre!. Qu'est-ce qui vous avait donné envie de rejoindre l'Épicerie moderne ?

Grégoire Potin : C'est une salle qui jouit d'une notoriété nationale, ce qui est assez rare pour une scène qui se situe dans une ville de 9 000 habitants, Feyzin. Ça m'a tout de suite intéressé de conjuguer cette notoriété nationale avec cet emplacement géographique. 

J'avais aussi envie de m'emparer des enjeux qui sont liés à la direction d'un lieu, de tenter d'emmener une équipe et des personnes dans un projet que je portais, en matière de choix artistiques, mais aussi de valeurs RSO (ndlr : responsabilité sociétale des organisations) qui comprennent les questions de circuit-court, de développement durable... 

J'ai souhaité donner à voir des choses fortes, du point de vue purement artistique, mais aussi de celui des valeurs : valoriser la bienveillance, forcer la représentativité... Aujourd'hui, c'est une lame de fond qui guide de nombreuses structures similaires à la nôtre, à l'époque c'était moins évident.

LPB : À ses débuts, la salle était plutôt tournée vers la chanson, aujourd'hui, la programmation est beaucoup plus variée, de l'électro au blues en passant par le rock, le folk et même le rap avec l'hybridation comme maître mot. Entre émergence et références pointues, quel regard portez-vous sur la programmation, et ses publics ? Quelle est la patte de l'Épicerie moderne ?

GP : On essaye de trouver des artistes qui font mouche, pour que le public considère chaque concert comme mémorable. On n'est pas mauvais à ça. On accueille un public très attentif, prêt à nous faire confiance, à prendre le risque de la découverte.

On a la chance de pouvoir faire le choix entre de nombreux artistes, car la métropole lyonnaise est un axe par lequel elles et ils passent beaucoup. Tout le monde avait oublié que Zaho de Sagazan était à l'Épicerie moderne quelques mois avant d'exploser, par exemple.

On programme finalement peu de hip-hop, seulement quelques propositions soit anglo-saxonnes soit instrumentales. On a des promoteurs très forts dans ces esthétiques-là dans le centre de Lyon. L'idée n'est vraiment pas de se marcher sur les pieds, ou de s'affronter sur des programmations similaires.

Grégoire Potin ©L'Épicerie moderne

 

Avec une jauge de 750 places, la prise de risque sur le remplissage est plutôt importante. Cependant, on ne se bride pas à ce sujet, on ne s'interdit pas de faire des pas de côté, et de tenter des choses. Sinon, ce serait la fin de l'Épicerie moderne. 

Il y a quelques fois où on fait des fours, d'autres où on est sold out, et le bar n'arrête pas de tourner... C'est un équilibre précieux, qui est aussi préservé par le travail que nous menons avec les autres SMAC. Quand on souhaite programmer un artiste, mais que je sens qu'il ne remplira pas l'Épicerie moderne, je me tourne vers le Marché gare, le Périscope ou même des acteurs qui ne semblent pourtant pas évidents au premier abord, comme le Musée des Confluences. Ils font la même chose dans l'autre sens.

On collabore un peu avec la SAS Concerts, Totaal Rez et on renoue le contact avec Mediatone mais on produit 95% de nos dates et on fait peu de collaborations avec les promoteurs. Notre identité artistique est assez forte, tandis que les promoteurs suivent parfois des modes. On m'a missionné avec un cahier des charges SMAC : je n'oublie pas qu'on doit faire perdurer une ligne artistique, et que je suis le seul à assumer si on annule, ou s'il y a un problème. 

LPB : Vous avez élu votre nouveau conseil d'administration le 5 juin dernier.

GP : Oui, il y a du renouveau. On compte beaucoup de Feyzinois et Feyzinoises, des personnes issues de la société civile, mais aussi d'autres qui vont nous aider à étoffer notre réflexion, tels que l'universitaire Pierre Brini mais aussi des professionnels de la musique. C'est un choix à la fois stratégique et politique : le plus de personnes irriguent nos réflexions, le mieux nous défendrons nos projets et nos valeurs.

LPB : Vous avez une programmation "famille" importante, en après-midi, autour des expositions, à la médiatique de Feyzin, sans parler des concerts pédagogiques et des dispositifs EAC... 

GP : On en est ravis, c'est une forme d'orfèvrerie très agréable, on va chercher des habitants par la main et on tisse des liens autour d'une rencontre artistique. On gardera ce pan-là ad vitam aeternam, même s'il ne génère pas d'argent. On pense aussi à l'étoffer avec de nouveaux dispositifs, en donnant par exemple une carte blanche à la jeunesse de Feyzin. La diffusion est certes la vitrine d'une salle et génératrice d'une économie, mais l'action culturelle et l'accompagnement ne sont pas moins importants pour la vitalité du secteur.

LPB : Vous venez de finaliser les groupes retenus qui bénéficieront du dispositif La Raffinerie. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?

GP : C'est la troisième année, et nous avons choisi trois groupes, qui se développeront sous la houlette de Vincent Remy qui est chargé de production et d'accompagnement. Je reprends l'image de l'orfèvrerie, on essaye d'accompagner sur-mesure ces formations qui ont été choisies par un comité notamment composé de bénévoles et d'artistes. Les six premiers groupes ont été une "réussite", eat-girls et Johnnie Carwash évidemment, mais aussi Barkanan qui vient de trouver un tourneur, Caïman qui va faire sa prochaine release party au Périscope...

LPB : Comment continue-t-on de garder en tête l'esprit "service public" d'une SMAC dans un contexte de baisse des subventions, de hausse des coûts ? Avez-vous l'impression que celui-ci est mis à mal ?

GP : La conjoncture économique est très particulière, il est difficile de se projeter. Pour l'instant, et je croise les doigts pour que cela continue, l'Épicerie moderne a eu ses subventions maintenues. Je ne peux cependant pas m'empêcher de penser qu'on a oublié l'importance des lieux d'émergence. La politique culturelle est parfois illisible et on demande aujourd'hui à une programmation culturelle de correspondre à une étrange logique, comme si on devait en priorité programmer du connu, ou ce qui est vu à la télé. 

Il est de plus en plus compliqué de dire à des habitant(e)s de venir en concert pour découvrir un ou une artiste méconnu(e). Beaucoup se disent « ce n'est pas pour moi », alors que justement, ce sont des programmations qui sont pensées pour éveiller des choses chez les gens, représenter de la diversité, offrir une tribune aux artistes, se parler d'humains à humains... Il faut qu'on aille voir les gens, les prendre par la main pour les emmener vers nos lieux.

LPB : Que peut-on vous souhaiter pour vos 20 ans ?

GP : On travaille main dans la main avec la Ville de Feyzin, propriétaire des murs. On a réalisé des travaux de signalétique, d'étanchéité, on a posé une nouvelle baie vitrée, mais nous souhaiterions faire plus de commun. Il est temps de quitter la dimension ''salle de concert pour une salle de concert'', fermée en-dehors des soirs d'événements. On souhaiterait qu'il y ait un espace de restauration, de vie, un carrefour des rencontres... 

À court terme, j'aimerais bien multiplier les collaborations, qui nous permettent aussi de pérenniser les équipes. On va en avoir une avec le Musée des Confluences, par exemple. Cela nous permettrait d'avoir un peu d'oxygène et de programmer certains artistes qu'on n'a pas pu avoir, ou d'ouvrir, pourquoi pas, à des postes d'alternance ou des stages, qui permettent la transmission. Comme ça, si ça foire à un moment, tous les fils qu'on aura tissés seront plus durs à détricoter.

LPB : Quel est le mot d'ordre de la programmation du week-end des 20 ans du 26 - 27 septembre ?

GP : On a pris le parti de proposer une programmation régionale, avec des artistes qui ont fait leur release party ou qui vont la faire dans des lieux plus petits de Lyon. On veut leur donner une tribune forte. Cela représente un véritable coût de monter deux scènes, d'animer des grosses équipes techniques. Tous les artistes nous plaisent évidemment, mais je peux évoquer Monika, qui est arrivé à nos yeux et à nos oreilles par Saint-Étienne puis Lyon. On les a identifiés très vite, c'est un projet hybride entre le rock et l'hyper pop, très punk dans l'attitude. Il y a aussi Droges, porté par deux techniciens issus de la Drôme. C'est un hymne à la revendication, anticapitaliste, antimisogyne, aux sonorités electro et punk. Il y a de fortes chances que cela clôture les 20 ans, ça va nous aider à extérioriser toutes les dernières incompréhensions qu'on a dans la tête...

Les 20 ans de l'Épicerie moderne
Du 26 au 27 septembre 2025 à l'Épicerie moderne (Feyzin) ; gratuit