Cafés, hôtels, restaurants : gérer les avis négatifs en ligne

par Lamia El Fath
Jeudi 26 juin 2025

Dans les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration et des cafés, la e-réputation est un levier de fréquentation majeur. Si pour préserver la liberté d'expression il n'est pas possible de supprimer tout avis négatif, des recours existent contre ceux qui sont illicites.

Des avis qui influencent la fréquentation... et la réputation

Un commentaire de cinq lignes peut parfois suffire à faire chuter une note Google, détourner des clients, et nuire durablement à l'image d'un établissement. Dans le secteur très concurrentiel du CHR (cafés, hôtels, restaurants), où les consommateurs se fient massivement aux plateformes de notation en ligne, chaque avis compte.Lamia El Fath

Ce phénomène, accentué par l'instantanéité du numérique, confronte les professionnels à une nouvelle forme de vulnérabilité : leur réputation se construit - ou se déconstruit - en ligne, bien souvent sans contrôle préalable.

Un avis désagréable n'est pas forcément illégal

La tentation est grande, face à un avis sévère ou injuste, d'en demander la suppression. Pourtant, il faut rappeler que la liberté d'expression protège le droit de critiquer, y compris sévèrement. Ce principe est notamment consacré par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit « la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques ».

Autrement dit, un avis négatif - même s'il peut heurter - relève, en principe, de la libre expression d'une opinion. Tant qu'il reste dans les limites légales, il ne peut pas être censuré. Dans cette optique, la réponse la plus efficace est souvent la communication : publication d'un droit de réponse, explication publique ou démonstration par la qualité du service que les critiques sont infondées.

La frontière entre opinion et infraction

Toutefois, certains propos excèdent le cadre de la liberté d'expression. Lorsqu'un avis mensonger porte atteinte à l'honneur, à la réputation ou à la considération d'un professionnel, des recours sont possibles.

Plusieurs qualifications juridiques permettent alors d'envisager une suppression du contenu, voire des poursuites contre son auteur :

L'injure, définie à l'alinéa 2 de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, désigne toute expression outrageante ne renfermant pas l'imputation d'un fait. Par exemple : « Patron escroc et personnel minable ».

La diffamation, prévue à l'alinéa 1 du même article, consiste à imputer à une personne un fait précis qui porte atteinte à son honneur ou à sa considération. Par exemple, les propos suivants diffusés sur le site TripAdvisor concernant un restaurant ont été considérés comme diffamatoires : « Désolé, mais ce grand restaurant gastronomique est fermé. Son chef l'a vendu il y a deux ans », en ce qu'ils laissaient faussement croire à ses clients potentiels que l'exploitant du restaurant avait cessé son activité. (CA Amiens, 1re chambre civile, 13 septembre 2018, 17/00340).

Le dénigrement, qui relève du droit commun (article 1240 du Code civil), concerne les propos qui jettent le discrédit sur les produits ou services d'un professionnel sans référence directe à sa personne. Le dénigrement constitue une forme de concurrence déloyale et donne lieu à des dommages-intérêts. La jurisprudence considère ainsi que : « Même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur les produits, les services ou les prestations de l'autre peut constituer un acte de dénigrement, ouvrant droit à réparation sur le fondement de l'article 1240 du Code civil ».

Le dénigrement et la diffamation sont exclusifs l'un de l'autre et dépendent des circonstances. Le fondement du dénigrement doit être cantonné aux commentaires portant sur les produits et services proposés par une entreprise, et non à ceux visant directement les personnes physiques ou morales. Aussi, aucune diffamation ni aucun dénigrement ne seront retenus si les propos litigieux reposent sur une base factuelle suffisante (autrement dit, si le commentaire est fondé sur la réalité des pratiques de l'établissement visé).

D'autres qualifications peuvent entrer en jeu, notamment l'incitation à la haine, l'atteinte à la vie privée, le harcèlement en cas de campagne coordonnée de commentaires malveillants, ou encore les pratiques commerciales déloyales. La qualification de la faute est un prérequis essentiel en ce que les démarches à entreprendre en dépendent.

Quelles actions concrètes pour faire supprimer un avis illégal ?

Lorsqu'un avis dépasse les limites de la liberté d'expression, plusieurs leviers peuvent être activés pour en obtenir la suppression.

Avant de le faire supprimer, il est essentiel d'assurer la conservation de la preuve du commentaire litigieux, idéalement via un constat d'huissier. Une demande de retrait peut ensuite être adressée à la plateforme. Cependant, il n'est pas rare que ces démarches restent sans effet. Alors, des mesures complémentaires pourront être envisagées. Des procédures judiciaires pourront être initiées pour contraindre la plateforme de supprimer l'avis litigieux.

Comment obtenir réparation du préjudice subi ?

D'une part, la responsabilité de l'auteur pourra être engagée. Pour cela, au préalable, il conviendra de s'assurer de son identité. En effet, les avis peuvent être laissés de façon anonyme ou sous couvert de pseudonyme. En outre, même si le nom de l'auteur est précisé, il est nécessaire de s'assurer qu'il s'agit de sa véritable identité. Des procédures judiciaires existent afin de s'enquérir des informations permettant d'identifier l'auteur des avis auprès des plateformes. Celles-ci ont l'obligation de conserver leurs données d'identification pendant une durée d'un an. Les fondements à mobiliser pour obtenir ces informations dépendent de l'infraction dont il s'agit.

Une fois l'auteur de l'avis identifié, il sera envisageable de lui adresser un courrier de mise en demeure et/ou d'initier une action à son encontre. Encore une fois, les actions à engager dépendront de la nature de l'infraction ou de la faute commise. En cas de dénigrement, l'action sera nécessairement civile. En cas de diffamation ou d'injure, une action pénale pourra être envisagée. Quoi qu'il en soit, le temps est compté : la prescription de l'action contre l'auteur d'un avis diffamatoire ou injurieux n'est que de trois mois à compter du jour de sa publication.

D'autre part, en sa qualité d'hébergeur, sous certaines conditions, la responsabilité de la plateforme d'avis pourra également être engagée en application de l'article 6 du règlement européen relatif à un marché unique des services numériques (le « DSA »). Ce règlement dispose que la responsabilité d'un hébergeur peut être engagée si, dès le moment où il a eu connaissance de l'existence de contenus illicite, il n'a pas agi promptement pour les retirer ou en rendre l'accès impossible.

Par conséquent, la plateforme d'avis en ligne engage sa responsabilité si, informée de l'existence d'avis illicites, elle ne procède pas à leur suppression, ou que cette suppression intervient tardivement.

Conclusion : entre vigilance et stratégie

Dans le domaine du CHR, la gestion de la réputation en ligne fait désormais partie intégrante de la stratégie de communication. Il faut savoir distinguer ce qui relève de la critique légitime de ce qui constitue une attaque illicite. Dans ce second cas, le droit offre aux professionnels des moyens de défense efficaces, à condition d'agir rapidement et de manière structurée.