En résistances, en résiliences, avec Kae Tempest

Publié Lundi 13 octobre 2025

Spoken word / Une voix sentencieuse sur des instrus polymorphes, le tout parachevé par une esthétique post-punk très britannique : Kae Tempest pose ses valises au Transbordeur, place à la transe collective.

Photo : Selbymay, CC BY 4.0, via Wikimedia Commons

« To be alive, it's everything - even when it hurts. Especially when it hurts », issu du morceau Everything all together, les mots de la figure britannique du spoken word rassemblent en deux phrases la matière qui sourde son travail depuis toujours : chagrin - pour ne pas dire désespoir -, colère et volonté de surpasser, même d'exalter, ses émotions pour en faire quelque chose d'autre, une ode rassembleuse à la vie et au collectif.

Le cinquième album studio Self titled (2025) déborde de cette rage de vivre, transcendant la violence d'un monde en ruines. Fort d'une œuvre polymorphe (musique évidemment, mais aussi poésie, théâtre et roman), empruntant au rap et à l'électro sans jamais complètement tourner le dos aux accompagnements acoustiques qui ont accompagné ses débuts dans les années 2010, Kae Tempest a livré un album massif, qui conjugue le récit de soi-même avec une critique acerbe de la société capitaliste, tout en marquant un point d'étape retentissant dans sa carrière. La colère et la tristesse sont toujours là, mais voici venir une forme de sérénité inattendue. Musicalement, l'album est sans concession, sauf peut-être pour deux petites incartades soul et pop un peu décevantes, Sunshine on catford et Prayers to whispers

Sans compromis

Kae Tempest a fait son coming-out en tant que personne non binaire et a annoncé utiliser les pronoms they/them en 2020, aujourd'hui il se genre au masculin. Il se livre à ce sujet dans le morceau galvanisant qui ouvre l'album, Stand on the line. Produit par Fraser T. Smith (qui a collaboré avec Dave, Kano, Ghetts, Bastille, Idris Elba and Stormzy), l'instrumentale très cinématographique y monte en intensité, crescendo, sans que la basse rythmique ne varie, à l'instar de la voix de Kae Tempest. Il y dissèque ses afflictions : avoir tenté de se nier pendant des années, avant d'entamer sa transition, et donc de faire face à la brutalité d'une société stigmatisant systématiquement les personnes - et plus précisément les corps - transgenres : « I know it hurts you when they look at you strange, misgender you intentionally, use your deadname. When they point blank refuse you, call you confusing, assault you in the street until you're hardly moving. » Un récit intime et cathartique qui renvoie à la valeur cardinale du travail de Kae Tempest : partir de soi-même pour construire du collectif.

L'intime est politique

Issu d'un milieu social pauvre, Kae Tempest s'est accroché désespérément à la musique et à l'écriture pour tenter d'exister, de comprendre, de définir les violences réelles et symboliques qui ont accompagné son quotidien et celui de son entourage. Il s'est d'ailleurs égaré dans les addictions lorsque les projecteurs ont été braqués sur lui. Il a narré son processus de sevrage et de renaissance spirituelle dans son album précédent The line is a curve (2022). Self titled parachève ce récit par une ode à l'acceptation de soi. Visiblement plus à l'aise dans ses baskets, Kae Tempest reste férocement anticapitaliste, déglinguant les puissants, et la lâcheté de celles et ceux qui refusent de regarder en face ce qu'un régime favorisant les disparités socio-économiques engendre (notamment dans Hyperdistillation). Cela, sans pour autant se noyer et noyer son public dans une neurasthénie figée. « We been here from the start, and we ain't going nowhere » déclame-t-il dans Statue in the square, rappelant ses travaux littéraires, notamment l'ouvrage Connexion (2021, aux éditions de L'Olivier) faisant l'apologie des structures et des groupements collectifs, d'entraide. Il y cite abondamment William Blake. Après tout, « l'acte le plus sublime, c'est de placer un autre devant soi ». Le concert promet donc un joli moment collectif, militant et festif.

Kae Tempest et Jacob Alon
Jeudi 23 octobre 2025 à 19h au Transbordeur (Villeurbanne) ; de 26 à 30 €

Kae Tempest + Jacob Alon

De retour depuis juillet avec son dernier album Self Titled, Kae Tempest propose un projet intime composé de douze titres écrits à la première personne pour se reconnecter à ses racines hip hop tout en rendant un hommage subtil à la pop contemporaine. La première partie sera assurée par l'Écossais Jacob Alon, entre Jeff Buckley et Rufus Wainwright.