Les Jeux Opla cherchent à sauver leur modèle éthique

Publié Lundi 13 octobre 2025

Jeux de société / Face à des difficultés financières, la maison d'édition de jeux lyonnaise lance un appel à ses soutiens sur Ulule. Un test grandeur nature pour un modèle artisanal et local, rare dans l'industrie du jeu de société.

Photo : © DR

Depuis une quinzaine d'années, les jeux estampillés Opla ont trouvé leur place dans les salons et sur les tables familiales. En quinze ans d'existence, la maison d'édition a développé 33 titres, du tout premier Pompom à des succès comme [Kosmopoli:t] ou La marche du crabe, jusqu'à son tout dernier sorti fin septembre 2025, Osmosis. Mais derrière ces univers à la fabrication exemplaire, la situation se tend. Florent Toscano, fondateur de cette structure indépendante basée à Lyon, a récemment lancé une campagne de financement participatif sur Ulule. Il espère réunir au moins 87 000 euros pour surmonter plusieurs mois de trésorerie critique et apurer ses dettes, tout en restant fidèle à ses principes : « On a toujours tout produit ici, avec des partenaires régionaux, rappelle-t-il. On n'a jamais voulu délocaliser, même quand tout le monde le faisait. Mais aujourd'hui, les coûts explosent, et ça devient très difficile de tenir avec les mêmes marges », décrit-il.

Un modèle artisanal à contre-courant

Depuis sa création en 2011, Opla revendique une production locale, une empreinte carbone limitée et une rémunération équitable des partenaires. Là où la plupart des éditeurs se tournent vers la production asiatique pour réduire les coûts, Florent Toscano a choisi la proximité. Chaque jeu est le fruit d'une chaîne régionale, du façonnage à l'assemblage, au service d'un modèle artisanal assumé depuis l'origine. « On s'est retrouvés avec des hausses de 30 à 40 % sur certaines matières premières. On a beau réduire les tirages, être rigoureux, à un moment, ça ne suffit plus », détaille-t-il.

Même chose côté distribution. Opla limite volontairement cette dernière à un rayon d'environ 800 km autour de son atelier, refusant tout transport par avion ou par bateau. Cette contrainte assumée permet néanmoins une présence dans la majorité des pays d'Europe de l'Ouest. Au-delà, certains titres circulent sous licence, produits localement par des partenaires partageant les mêmes exigences écologiques. Et pour rester cohérent jusqu'au bout, l'éditeur refuse toute vente via Amazon et se tient à l'écart des opérations commerciales comme le Black friday.

Côté direction artistique et contenu de ses jeux, Opla y appose la même exigence. Chaque projet documenté s'élabore en lien avec des experts afin d'en garantir la justesse scientifique. Ces collaborations, menées avec Sea shepherd France, la LPO, France nature environnement, Arthropologia, le CNRS ou encore La Salamandre, donnent naissance à des livrets pédagogiques qui prolongent l'expérience ludique. 

Florent Toscano fondateur de Jeux opla © DR

Des grandes enseignes qui tirent les prix vers le bas

Ce choix est en opposition avec la logique d'un marché dominé par les géants du jeu de société tel que Asmodee côté Hexagone ou Ravensburger côte outre-Rhin. Amazon, notamment, impose des standards de prix et de visibilité qui écrasent les structures indépendantes. « Le problème n'est pas notre modèle, c'est l'environnement dans lequel il évolue. Les grandes enseignes tirent les prix vers le bas, les boutiques indépendantes souffrent, et la visibilité pour les petites structures comme la nôtre diminue », constate Florent Toscano. « On ne fait pas des jeux pour devenir riches, mais pour que ç'ait du sens. Aujourd'hui, il faut se battre pour continuer à faire exister ce sens », explique-t-il.

Cette situation interroge plus largement l'avenir des modèles vertueux dans l'industrie ludique et culturelle, comment continuer à fabriquer localement quand l'économie pousse à la délocalisation systématique ?

Ulule comme baromètre de résistance

Lancée début octobre, la campagne Ulule fonctionne autant comme levier financier que comme test de fidélité. Les contributeurs peuvent y précommander des jeux, soutenir la relance d'anciens titres ou simplement participer symboliquement à la survie du catalogue.

À mi-parcours, la mobilisation est réelle et à l'heure où nous écrivons ces lignes, la cagnotte a atteint les 49 785 €, preuve qu'un certain public reste attaché à l'idée d'un jeu éthique et ancré localement. Mais au-delà de l'urgence, la démarche d'Opla met en évidence un dilemme plus large, celui de conjuguer exigence écologique et viabilité économique sans céder aux sirènes du low-cost.
L'expérience des Jeux Opla, pionniers d'un artisanat du ludique, pourrait bien devenir un cas d'école dans un secteur encore peu enclin à la sobriété.