La révolution épistémologique est en route
Philosophie / La philosophe Camille Froidevaux-Metterie a fait œuvrer de concert une centaine de chercheuses et autrices pour produire "Théories féministes" : un recueil compilant 130 textes ne visant rien de moins qu'une révolution intellectuelle et politique.
Photo : Camille Froidevaux-Metterie ©Bénédicte Roscot
« On réduit souvent le féminisme à des cycles de combats (droits civils et politiques, droits reproductifs, droits des personnes LGBTQI, lutte contre le sexisme et les violences sexuelles), qui ont abouti à des conquêtes jugées suffisantes et définitives (droit de vote, égalité salariale, allongement du délai légal de l'avortement, redéfinition du viol). Ce faisant on masque l'essentiel, à savoir qu'il constitue un projet d'ampleur qui ne vise rien de moins que la réinvention de notre monde commun par le renversement des logiques de domination et d'exploitation qui le structurent » : la citation est longue, mais vaut la peine de n'être pas escamotée. Rédigée en prologue du bel ouvrage (de près de 800 pages) qu'elle a coordonné, l'autrice de La Révolution au féminin (Gallimard, 2015) et d'Un corps à soi (Seuil, 2021) a mené un travail conséquent pour faire émerger un discours qui, même s'il est arborescent et polyphonique, est tout à fait concret, et compréhensible. Partant du constat qu'aucune avancée des acquis sociaux des femmes n'a ouvert la voie à un véritable renversement des systèmes de valeurs, elle pose une pierre qui se veut solidement ancrée dans l'Histoire, pour tenter d'enrayer le processus qui menace les femmes et les minorités dans le monde entier ; les succès électoraux en cascade des projets autoritaires et nationalistes pour ne citer qu'eux.
Un féminisme des alliances
Approches marxistes, matérialistes, intersectionnelles, décoloniales, queers... : l'ouvrage agit comme une encyclopédie des avancées intellectuelles, politiques et philosophiques qui ont été formulées contre la domination et l'exploitation patriarcale. De Madeleine Pelletier, Virginia Woolf et Raewyn Connel à Dorothée Dussy et Iris Brey : on aurait pu lire un fourre-tout ayant pour ligne directrice de faire parler (en grande majorité) des femmes de renom, à propos des conditions féminines, queers et trans. Mais non, Camille Froidevaux-Metterie cherche d'une part à faire reconnaître le processus chronologique des mouvements féministes, mais surtout, leur dimension cumulative. À bien y regarder, le sommaire est fabriqué de thématiques qui furent (et qui sont parfois encore) marquées du sceau de l'indignité conceptuelle, des réflexions qui ont pour point de départ le corps, les émotions, la matérialité de la nature, la spécificité du vivant, les expériences vécues... souvent vus comme de simples arguments au service du progrès moderne, indignes de servir de point de départ à une pensée complexe. Légitimer ces thèmes ostracisés comme dignes d'être regardés et théorisés comme objets politiques de premier plan et non comme relevant de la sphère de l'intime ou du dérisoire permettrait cette révolution à laquelle l'autrice aspire, visant, in fine, à l'abolition des systèmes de domination. Un joli programme, qu'elle évoquera en compagnie de l'autrice Vanina Mozziconacci, des sociologues Isabelle Clair et Cornelia Möser ainsi que de l'historienne Christelle Taraud au théâtre de la Croix-Rousse au cours de la conférence "Penser en féministe", dans le cadre du partenariat entre le Festiv-iel et Mode d'emploi, un festival des idées.

Théories féministes sous la direction de Camille Froideveaux-Metterie (aux éditions du Seuil) ; 27€
Conférence "penser en féministe" samedi 15 novembre 2025 au théâtre de la Croix-Rousse (Lyon 4e) ; prix conscient et sur réservation

