Il Divo

En s’attaquant à la figure ambiguë du politicien italien Giulio Andreotti, Paolo Sorrentino ne se contente pas de nous livrer un énième biopic, mais explose le genre pour en révéler, enfin, tout le potentiel cinématographique. François Cau

Un saisissant travelling avant accompagne un premier soliloque. Giulio Andreotti (Toni Servillo, sidérant) y évoque avec son flegme terrifiant l’ironie de sa destinée professionnelle : il aura survécu à tous ceux qui le laissaient pour mort politiquement, avec pour seule séquelle ces migraines qui lui valent d’avoir le visage orné d’aiguilles d’acupuncture. En un plan d’une évidence formelle terrassante, Sorrentino fait mine de désacraliser son héros pour mieux asseoir sa redoutable rhétorique. La machine esthétique peut alors s’emballer : la mélodie imparable du Toop Toop de Cassius se fait entendre, accompagne un faux générique où les séquences de meurtres perpétrés par la mafia s’enchaînent à un rythme vertigineux. Vient ensuite, en addendum de ce premier puzzle visuel que le film reconstituera au fil des événements, la présentation du “courant andreottien“ - des politicards improbables, filmés comme les membres d’un gang, discrets sifflotements “leoniens“ à l’appui. En une bobine à peine, Paolo Sorrentino s’empare d’une matière narrative complexe (les dessous de la politique italienne des trente dernières années, ni plus ni moins !) et la transfigure en un matériau cinématographique puissant.

Capo di tutti

Le film n’aura dès lors de cesse de bringuebaler le spectateur dans son rythme frénétique, de le prendre au piège de sa mise en scène ébouriffante, bourrée d’idées d’un culot extrême, et placée sous le signe du mouvement perpétuel. La construction dramatique d’Il Divo, quasi abstraite, suit une logique kaléidoscopique, virevolte sans cesse en un marabout-de-ficelle visuel détonant. Point d’agitation vaine, cependant : Sorrentino réfléchit en permanence son sujet, sa place dans l’espace, ses équivoques et ses paradoxes aussi dévorants en substance que surprenants à l’écran. Giulio Andreotti, à la fois témoin distant et acteur pragmatique, se fait ainsi le pivot d’une passionnante réflexion sur la duplicité des enjeux de pouvoir, dont il représente bien évidemment l’ambivalent paradigme. Le réalisateur se garde bien de répondre à la question de son implication dans les accointances criminelles qui lui sont reprochées, et se borne à restituer son attitude hautaine, déstabilisante au possible au beau milieu du barnum des politiciens infatués. En cela, Il Divo est un achèvement artistique inédit dans le domaine du biopic : un film d’une puissance et d’une intégrité hallucinantes, laissant le soin au spectateur de s’en faire sa propre interprétation.

Il Divo, de Paolo Sorrentino (Ita, 1h50) avec Toni Servillo, Anna Bonaiuto…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Jeudi 24 octobre 2019 De Marco Bellocchio (It.-Fr.-All.-Br., avec avert. 2h31) avec Pierfrancesco Favino, Maria Fernanda Cândido, Fabrizio Ferracane…
Lundi 10 avril 2017 Transformant une escroquerie d’État des années 1980 en thriller rythmé et sarcastique, Alberto Rodríguez, réalisateur du fameux "La Isla minima", poursuit à sa manière son exploration critique de la société espagnole post-franquiste, quelque...
Mardi 8 septembre 2015 Deux artistes octogénaires tentent de soulager leurs multiples douleurs dans un hôtel de luxe grouillant de curistes aisés. Après sa réussite "La Grande Bellezza", Paolo Sorrentino s'embourbe en voulant à tout prix amener son film vers une séquence...
Mardi 1 septembre 2015 Cette rentrée 2015 ressemble à une conjonction astronomique exceptionnelle : naines, géantes, à période orbitale longue ou courte, toutes les planètes de la galaxie cinéma s’alignent en quelques semaines sur les écrans. Sortez vos télescopes !...
Jeudi 7 novembre 2013 Les huitièmes Rencontres du cinéma italien organisées par Dolce cinema affichent un programme dantesque, que ce soit dans sa compétition, son panorama ou ses (...)
Mercredi 22 mai 2013 L’errance estivale d’un écrivain qui n’écrit plus dans la Rome des fêtes et des excès. Derrière ses accents felliniens, le nouveau film de Paolo Sorrentino marque l’envol de son réalisateur, désormais au sommet de son inventivité visuelle et...
Jeudi 7 juillet 2011 Sean Penn en rocker glam vieillissant et déprimé qui part à la recherche du tortionnaire nazi de son père mort : c’est l’improbable, déroutant et en fin de compte attachant nouveau film du réalisateur d’Il Divo. Christophe Chabert

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X