The Social network n'est pas que le dernier exemple en date des noces fécondes entre Hollywood et les créateurs de l'âge d'or des séries télé. Si Aaron Sorkin s'est fait connaître du grand public en signant À la maison blanche pour NBC, il a fait ses armes en tant qu'auteur dramatique sur les planches de Broadway. Il n'a que 28 ans au moment de la création de sa première pièce, Des hommes d'honneurs, saluée unanimement par la critique et dont il signera l'adaptation cinématographique réalisée par Rob Reiner.
Comme tous les grands auteurs anglo-saxons, Aaron Sorkin s'intéresse avant tout aux histoires qu'il raconte et aux enjeux que celles-ci véhiculent, autant qu'à la parole, pourtant vertigineuse, des personnages. À la maison blanche, sa deuxième série après l'inédite Sports night, lui donne toute latitude pour exercer son don de dialoguiste et son goût : en créant une fiction où un Président américain et son administration doivent traverser, grosso modo, les événements qui arrivent réellement à George W. Bush, ses conseillers et ses secrétaires d'état, Sorkin invente une uchronie au long cours, mettant en perspective l'Histoire américaine contemporaine avec le quotidien de la pratique politique et les embarras privés de ses personnages.
Après l'échec de sa troisième série (Studio 60 on the sunset strip, sur les déboires d'un show télé satirique), le cinéma lui tend les bras. Il écrit alors l'excellent La Guerre selon Charlie Wilson (réalisé par Mike Nichols), prolongement à peine voilé d'À la maison blanche. On y voit un député jouisseur et sans réelle vision politique s'offrir un coup de pub en finançant la résistance afghane contre l'envahisseur soviétique. Le film, brillant, passe avec une légèreté inouïe de la grande Histoire à la comédie pure et simple, inventant une sorte de vaudeville politique aux conséquences géostratégiques capitales (mais hors champ).
C'est là tout le talent de Sorkin, qu'on retrouve dans The Social network : dans ces conversations sans fin, qu'elles soient futiles ou techniques, se joue en filigrane l'avenir du monde.
Christophe Chabert