Fincher, 10 ans d'histoire

Analyse / Vilipendé à la sortie de "Fight club", David Fincher est dix ans plus tard acclamé pour les mêmes raisons : sa capacité à créer des héros ambivalents synchrones avec l’ère numérique. CC

Dans Fight club, Edward Norton se retrouvait piégé dans un environnement aseptisé, reflet d’une société de consommation standardisée, made in Ikea, qu’il pulvérisera en s’inventant un double anarchiste et punk ; dans The Social network, Mark Zuckerberg crée un site à travers lequel chacun peut se créer une identité virtuelle, dans laquelle on raconte sa vie, réelle ou fantasmée. Comme une parenthèse ouverte à l’aune des années 2000 et close quelques mois après leur fin, David Fincher a tourné deux films, l’un visionnaire, l’autre récapitulatif, sur le bouleversement majeur de la décennie : l’irruption du virtuel et du numérique comme un événement fondamental.

Des rides et des pixels

Cinématographiquement pourtant, tout a changé. La furia visuelle de Fight club, avec ses images subliminales, ses plans impossibles qui traversent les corps et les murs, ses décors qui s’animent comme un catalogue vivant, a laissé la place à un cinéma de la parole et des visages, où la direction artistique est toujours aussi remarquable mais nettement moins ostentatoire. Par ailleurs, les effets numériques de Fight club se greffaient sur un film qui non seulement était encore tourné avec de l’argentique, mais surtout se servait de la pellicule comme d’un gimmick subversif à l’intérieur de son intrigue. Dans The Social network, Fincher a définitivement basculé du côté de la HD (le film a été tourné avec la Red, la plus grand public des caméras professionnelles), mais c’est bien son héros seul qui semble prendre conscience de ce basculement. C’était déjà le cas dans Zodiac, où Robert Graysmith traversait les années sans prendre une ride, comme une image figée numériquement dans les années 70, insensible à l’effondrement du monde alentour ; Benjamin Button, à l’inverse, rajeunissait à l’écran à rebours de la chronologie, mais adoptait toujours les traits d’un seul acteur, Brad Pitt. Ses personnages sont des réincarnations de prototypes extraits du cinéma classique (le journaliste entêté, l’ado complexé, l’homme au destin extraordinaire) mais revitalisés par la technologie numérique. En dix ans, David Fincher a pris la mesure d’une révolution en se posant comme son créateur le plus libre, d’abord pionnier, aujourd’hui pilier d’un Hollywood en pleine mutation.

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