Touristes !

Quelques mois seulement après "Kill list", Ben Wheatley continue de frapper fort avec cette comédie très noire et très gore où un couple d’Anglais moyens se témoigne son amour en assouvissant ses pulsions les plus violentes. D’un salutaire mauvais esprit. Christophe Chabert

Pour ceux qui ont succombé au parfum sulfureux et aux énigmes ésotériques et irrésolues de son précédent Kill list, Touristes ! fera l’effet d’un étonnant pas de côté de la part de Ben Wheatley. Si Kill list affichait une évidente ambition de renouveler un genre (le thriller horrifique) par une mise en scène suspendue, proche par instants d’un Malick, Touristes ! est beaucoup plus direct : comme au temps des premiers Peter Jackson, il s’agit de faire rire le spectateur à travers une farce très noire où les excès sont bienvenus. À commencer par ceux des deux personnages principaux : un couple d’Anglais un peu beauf charriant un tas de névroses que seul le lien amoureux qui les unit semble capable de refouler. Elle vit avec une mère acariâtre, rongée par la culpabilité liée à la mort de son chien adoré ; lui ne supporte pas l’impolitesse, les pollueurs et plus globalement tout ce qui, de près ou de loin, entre en conflit avec ses valeurs. Alors qu’ils vont jouer les touristes dans l’Angleterre profonde (visitant des lieux aussi palpitants que le musée du crayon) tout en forniquant joyeusement dans leur camping-car, ils se muent peu à peu en serial killers ; ce qui, au lieu de peser sur leur conscience, va les libérer.

L’amour fou furieux

Avec un mauvais esprit salutaire et un sens de la provocation constant, Wheatley s’en prend aux dérives de son pays : ce qu’il décrit, c’est d’abord une Angleterre où le mauvais goût triomphe, où le puritanisme produit des monstres de violence à la morale complètement tordue et où, en définitive, tout le monde se regarde en chien de faïence. Touristes ! se présente aussi comme une variation bouffonne autour du fameux Honeymoon killers, puisqu’à défaut de s’identifier aux deux tueurs, on peut se raccrocher à l’amour bizarre qu’ils se portent. Amour fou, monstrueux lui aussi, qui appelle jalousie et pardon, engueulades et réconciliations, dépendance et manque. Cet amour, c’est aussi celui que Wheatley porte à ses comédiens : comme dans Kill list, ce sont eux qui guident la mise en scène – ici encore plus car ils sont auteurs du scénario – celle-ci n’étant jamais aussi belle que lorsqu’elle saisit des moments de vie qu’on imagine improvisés ou accidentels. On peut parler de pochade, de film mineur ; on peut penser aussi qu’un grand cinéaste est définitivement en train d’éclore.

Touristes !
De Ben Wheatley (Ang, 1h29) avec Steve Oram, Alice Low…

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