Théâtre / Après l'excellente surprise "Les Clowns" la saison passée, François Cervantes présente cette semaine sa nouvelle création baptisée "Carnages", avec de nombreux interprètes sur scène. Dont notamment la toujours impressionnante et touchante Arletti, campée par la comédienne Catherine Germain, que l'on a décidé de rencontrer.
Au cinéma, la figure du zombie sert en premier lieu à figurer l'horreur, mais aussi à donner une clé de lecture supplémentaire. Ainsi, les films du réalisateur culte George A Romero sont on ne peut plus politiques, les zombies représentant l'abrutissement de la civilisation, ou encore le consumérisme stérile lorsqu'ils errent dans des supermarchés déserts.
Au théâtre, la figure du clown est elle aussi plus chargée qu'elle n'y paraît, avec évidemment une symbolique différente. Car derrière la posture comique, le clown permet de dépeindre les rapports humains en s'éloignant du texte didactique pour se centrer sur le corps.
Comme dans Carnages, la nouvelle création de François Cervantes, qui s'intéresse à des clowns contraints de vivre ensemble. Catherine Germain, qui incarne Arletti (au premier plan sur la photo), nous explique les intentions du metteur en scène avec qui elle collabore depuis vingt-cinq ans : « Pour Carnages, François était intéressé par l'idée du nombre : comment faisons-nous lorsque l'on est plusieurs pour habiter un endroit – ici la scène. Comment chacun continue à s'habiter lui-même, à exister en présence de l'autre. Et comment la rencontre avec l'autre peut aider à se découvrir. »
Zombies ailés
Le plateau est vide, inoccupé de toute présence humaine. Un espace vierge, allégorie de tous les possibles, qui n'attend que d'être investi. Après quelques instants, une personne entre, timidement : c'est le clown Arletti. Un personnage frêle, drôle et attachant, que la comédienne porte depuis vingt-cinq ans, au sein de la compagnie L'Entreprise de François Cervantes.
« Comme Dominique Chevalier [Zig, autre clown historique de l'équipe – ndlr], je travaille avec François depuis les débuts de la compagnie, en 1986. En tant qu'auteur, François était intéressé par des personnages décalés dont il pressentait qu'ils nourriraient son écriture. Des êtres qui peuvent se déplacer d'histoire en histoire – la preuve, ils sont dans plusieurs spectacles –, et qui sont à eux-mêmes une histoire. Il nous a fait travailler à l'époque sur des anges qui avaient le désir de devenir humain. Il nous a demandé de créer un personnage duquel on pourrait tomber amoureux. Un être dans le décalage qui, quand on le fait apparaître dans la lumière, dans l'œil du public, donne envie de se laisser embarquer, avec naïveté. Il nous a ensuite poussés vers la métamorphose, le maquillage... On est devenus des clowns à ce moment-là. Et sur le plateau, il nous a fait travailler pour que de ces êtres plastiques et esthétiques qu'il avait dessinés sortent une parole, un grain de voix, une pensée... »
Le spectacle La Curiosité des Anges, qui tourne encore vingt-cinq ans après sa création (la MC2 l'a programmé en décembre dernier pour sa tournée iséroise), venait de naître. Et avec lui, les personnages d'Arletti et de Zig. Vingt-cinq ans après, Catherine Germain est toujours en osmose avec la facétieuse Arletti : celle qui s'attelait à la mise en scène d'un Shakespeare dans Les Clowns (en 2011 à la MC2), et celle qui aujourd'hui dans Carnages dirige finement une communauté disparate. « Le clown Arletti : vingt ans de ravissement » comme l'écrivait la comédienne dans un ouvrage paru en 2008.
« C'est quelque chose qui me ravit, m'emporte, me capture... Ceci dit, je joue aussi d'autres choses qui ne sont pas Arletti, mais elle déteint ! J'ai joué il n'y a pas longtemps Médée, qui a priori n'est pas en rapport avec le clown... En fait, je pense que si : dans l'attitude, dans le fait de se donner au public, d'être la plus charnelle possible... Il y a quelque chose qui attrait au clown dans cette façon d'être au monde. » Comme un zombie, un clown se nourrit des figures qu'il côtoie, qu'il dévore, qu'il fait siennes...
« Le personnage est un instrument de musique »
Carnages est donc un spectacle de groupe, avec les deux figures centrales de la compagnie (Zig et Arletti), et quelques nouvelles. « Il y a des clowns beaucoup moins expérimentés – ce n'est pas péjoratif que de dire ça. François voulait faire un travail avec les gens de la compagnie. Dans Carnages, il y a des comédiens qui n'étaient pas avant dans des aventures de clown. » Et c'est là que le bât blesse, certains interprètes ramant plus que d'autres lors des premières représentations marseillaises en février pour imposer leur style, leur personnage, leur univers, à la manière de zombies trop maquillés pour être crédibles.
Ce qui confirme l'idée que faire du clown est un véritable art, qui se travaille, année après année. « Le personnage est un instrument de musique. Et au-delà d'un personnage, c'est une façon de prendre la scène, dans la lumière et dans un rapport le plus brut possible avec le public, le plus ouvert physiquement. Surtout que l'envie de public augmente sans cesse ! » Et réciproquement : car si ce Carnages nous a légèrement laissés sur notre faim, notre appétit de clowns, et surtout d'Arletti, n'est heureusement toujours pas rassasié.
Carnages
du mardi 14 au samedi 25 mai, à la MC2