Humoriste et chroniqueur à gauche d'une gauche un peu trop à droite, Didier Porte trimballe depuis maintenant plusieurs dizaines d'années sa voix d'antenne en antenne et de scène en scène. Caustique et malin, il débarque sur nos terres pour donner les premières représentations de son tout frais "Didier porte... à droite !" L'occasion de discuter au coin du combiné téléphonique. Propos recueillis par Laetitia Giry
Pas peu fier de son idée de se mettre dans la peau d'un "homme de droite", espèce aussi étrange que farfelue, Didier Porte enfile un costume qui lui va a priori très mal et promet ainsi un décalage poilant. Gauchiste comme on n'en voit (et surtout n'entend) que trop peu, il a répondu à nos questions avec une ironie et une énergie que le passage à l'écrit assagit et que les points d'exclamation ne sauraient compenser. Muselé un temps mais pas muet, honteusement licencié de France Inter pendant l'ère Sarkozy par les marionnettes de ce dernier, Porte officie actuellement une fois par semaine sur RTL (recueilli par un certain Stéphane Bern). Nul besoin de préciser alors que, ses interventions quotidiennes d'antan sacrifiées, sa présence sur scène n'en devient que plus précieuse...
On imagine que Didier porte... à droite ! est un titre délibérément provocateur ?
Didier Porte : Oui, j'ai décidé de récupérer une partie du public de Jean-Marie Bigard... J'avoue que j'ai un peu honte du jeu de mots ! Mais c'est un titre qui traduit parfaitement le point de vue du spectacle et correspond bien au thème : l'idée qu'un humoriste doit être dans l'opposition par principe. Bon, ce n'est pas très compliqué d'être dans l'opposition de gauche avec l'actuel gouvernement mais voilà : je joue la carte de l'opposition à fond, alors je suis de droite. J'ai changé de camp pour des raisons éthiques car je ne peux pas être un humoriste majoritaire, officiel, ça n'aurait plus de sens.
Et c'est comment d'être de droite ?
J'ai un coach en voix off qui me guide avant chaque intervention sur scène, me regonfle et m'aide à devenir de droite... Parce qu'on ne le devient pas à mon âge comme ça du jour au lendemain, il faut être aidé, assisté. Je me place du point de vue de la droite, qui est quand même extrêmement majoritaire dans ce pays, donc j'essaie d'adopter sa rhétorique, de formuler des critiques contre le gouvernement en partant du principe que la France est un pays de fainéants, de bons à rien, de mollassons ; tout ce que l'on entend et qu'on lit à longueur de journée à la télé, dans les journaux, etc. Voilà, je m'inscris aussi là-dedans parce que, héhé... ça me change !
Chroniqueur et humoriste ne sont pas les mêmes métiers... Comment gérez-vous le passage sur scène ?
À l'origine je suis journaliste, mais j'ai toujours été un journaliste un peu déconneur, pas très sérieux il faut bien le dire. Quand je travaillais dans la presse régionale, je faisais des canulars sans prévenir ma rédaction, des fausses interviews, j'étais facétieux. La scène est un exercice contre-nature pour moi. J'ai commencé à quarante piges alors que je n'ai jamais été comédien. Pour ce spectacle, j'ai recours à une véritable metteure en scène pour la première fois et c'est bien agréable. Je ne sais pas si cela va se voir beaucoup sur le plateau mais en tout cas, il y a un vrai travail de comédien et d'apprentissage. Je fais de la scène depuis quinze ans, il est temps que je joue un peu au comédien ! L'enjeu ici, c'est d'abord de tester mes sketches ; peut-être qu'aucun ne marchera et que je serai obligé de tout mettre à la poubelle avant Avignon [les représentations d'Eybens sont annoncées comme des avant-premières – ndlr].
Et vous repasserez à gauche...
Voilà !
C'est tout l'intérêt de la scène que d'avoir un public qui réagit...
Oui c'est évident ! Quoique j'ai fait beaucoup de radio en public aussi, comme Le fou du roi sur France Inter, ou l'émission de Stéphane Bern sur RTL en ce moment, mais il y a moins de monde.
Stéphane Bern vous manquait ?
Ah, mais je ne peux pas vivre sans Stéphane Bern ! J'attendais qu'il m'appelle et il l'a fait. Je lui suis très reconnaissant de m'avoir donné l'asile politique sur RTL – a priori ce n'était pas évident, compte-tenu des opinions que je professe et de l'idéologie des auditeurs de la chaîne... Cela dit, je ne suis là qu'une fois par semaine, alors je ne risque pas trop de les contaminer.
Avant d'être remercié en 2010, vous aviez été licencié par France Inter en 1996 pour « inhumanité »...
En effet.
Le motif était quand même passablement absurde...
Ce terme était un bon prétexte pour dire « sale gauchiste » !
On est confrontés ici à un pur problème de liberté d'expression, la même qui est un peu ce pour quoi vous luttez au quotidien dans vos diverses activités...
Mais pas un peu, énormément ! Avec acharnement ! La liberté d'expression est le fondement de notre travail. Alors bien sûr, il reste la scène, mais si vous n'avez pas d'antenne où vous exprimer, vous perdez votre public assez vite.
Il doit vous manquer Sarkozy...
Ah, c'est sûr que je le regrette hein, je le pleure tous les jours... Il était extraordinaire, c'était un fou furieux. Hollande est moins intéressant de ce point de vue là. Sur le plan psychologique, il n'a pas quatorze ans d'âge mental, il est à peu près terminé, donc c'est moins drôle. Je suis très opposé à la politique qu'il mène, qui est exactement la même sur le plan économique que celle du gouvernement précédent ; en revanche, sur le plan sociétal, je sais que jamais Hollande ne fera virer un humoriste. On ne peut pas lui retirer. Mais il y a beaucoup de choses à critiquer dans le gouvernement actuel, et je ne me prive pas de le faire.
Les scandales politiques sont du pain béni pour un humoriste comme vous... Si ces débordements vous donnent de la matière, heurtent-ils toujours plus votre conscience de citoyen ?
C'est toujours pareil, je suis affligé par ce qu'il se passe. Bon, on est là pour en rire, c'est notre boulot. Je suis quelqu'un de parti pris qui a toujours dit pour qui il roulait politiquement – j'ai appelé à voter Mélenchon à la dernière présidentielle – mais je ne suis pas là non plus pour être un béni-oui-oui, le petit doigt sur la braguette d'un homme politique. Je ne cache pas que je trouve que Mélenchon est parfois assez ridicule dans son rapport avec les médias – car on est là pour être critique quoi qu'il arrive. On peut avoir des convictions sans être des lèche-culs.
Vous auto-censurez-vous parfois ?
On a tous notre part de sacré, notre culture personnelle, donc il y a des sujets que l'on ne préfère pas aborder... Je n'ai pas de sujet tabou en soi, ça dépend des circonstances, des moments, car certains le sont un jour et ne le sont plus le lendemain, tout dépend du contexte. C'est sûr que faire des vannes contre les musulmans ou contre les juifs ça m'amuse moyennement compte-tenu de mon passé familial, et du racisme de notre société – que je n'ai pas envie d'encourager. J'ai plutôt envie de me moquer des cathos, de ma culture religieuse à moi, parce qu'on m'a forcé à aller à la messe jusqu'à quinze ans, pas à la mosquée ou à la synagogue ! Spontanément, on me dit "ah vous n'avez pas de couilles, vous n'osez pas vous en prendre aux musulmans"... Ben non, parce que j'ai été élevé dans la culture catholique, donc c'est logiquement celle-là que je connais, et surtout celle-là qui m'a emmerdé ! Ce sont les curés qui m'ont fait chier ! Voilà, pas de tabous véritablement, mais des sujets que je n'ai pas envie d'évoquer. La Shoah par exemple, vu le rôle qu'a tenu la France dans ce pan d'histoire, je me sens un peu merdeux, au nom de notre culture nationale je ne me sens pas très fier. Pareil pour la guerre d'Algérie...
Votre collaboration au journal de Siné est importante pour vous ?
Oui, je fais une intervention de temps en temps dans Siné Mensuel. Je trouve Siné extraordinaire, c'est un immense talent et une force de la nature. Il lutte depuis des mois à l'hôpital, à l'agonie, mais il trouve le moyen d'écrire des chroniques incroyables. Il devrait être mort mais il a cette vitalité incroyable.
Votre plume est votre arme... Considérez-vous les mots comme des bombes potentielles ?
Oh, je ne crois pas, je ne me fais pas trop d'illusions sur le rôle des humoristes. Peut-être qu'en Tunisie, Turquie ou Syrie, ils ont manié les mots comme des bombes. Nous, il faut quand même relativiser, je crois qu'on est là pour défouler les gens d'une manière ou d'une autre, leur donner un moyen de s'exprimer à travers nous, de pousser un coup de gueule, ça ne va pas plus loin que ça. Finalement, on a un rôle de contrôle social, on est là comme soupape de sécurité pour faire sortir la pression, participer au maintien de l'ordre...
Didier porte... à droite ! à l'Autre rive (Eybens) du mercredi 19 au samedi 22 juin à 20h30
Critique sur www.petit-bulletin.fr au lendemain de la première