La disparition d'Alain Resnais est arrivée au moment où on s'y attendait le moins, juste avant la sortie du film où il semblait enfin conjurer le spectre de cette fatalité en la remplaçant par une ode joyeuse aux années qui restent à vivre... Car depuis 1984 et son sublime et aride L'Amour à mort, ses films semblaient être des répétitions générales d'un départ annoncé. À l'exception du mineur et jovial I want to go home (1989), hommage aux bandes dessinées qu'il adorait et dans lequel il avait fait des infidélités à son cercle d'acteurs, tous étaient nimbés de ce parfum funeste.
La pieuvre narrative de Smoking et No Smoking (1993) avait beau ouvrir une douzaine de récits potentiels, tous se concluaient au cimetière ; dans Les Herbes folles (2009), la mort s'invitait littéralement par accident dans l'épilogue ; et Vous n'avez encore rien vu (2012) mettait en scène non pas une, mais deux fois, la disparition d'un metteur en scène. Quant à On connaît la chanson (1997) et Cœurs (2006), films jumeaux seulement séparés par leurs humeurs antagonistes, il y rodait une forme de dépression, légère ou carabinée, qui venait là s'incarner dans un ban de méduses en surimpression, ici dans une neige qui engourdissait les cœurs et les âmes des personnages.
Chez Resnais, et c'est encore le cas dans Aimer, boire et chanter, les climats et les saisons sont à la fois les signes les plus objectifs du temps qui passe, mais aussi des baromètres moraux : la neige qui tombe entre les séquences de L'Amour à mort rappelle ainsi que même si les morts peuvent revenir à la vie, ils rapportent avec eux quelque chose de cet hiver perpétuel. Aux derniers plans de son dernier film, c'est l'automne et ses feuilles mortes qui forment un linceul ; mais Resnais ne s'attarde pas sur ce crépuscule-là... Les dernières notes (de musique) de son œuvre seront une chanson guillerette et surannée, celle qui donne son titre à cet ultime opus.
Christophe Chabert