Chappie

Chappie
De Neill Blomkamp (EU-Mex, 1h54) avec Hugh Jackman, Sharlto Copley...

Déroute intégrale pour Neill Blomkamp avec ce blockbuster bas du front, au scénario incohérent et à la direction artistique indigente, où il semble parodier son style cyberpunk avec l’inconséquence d’une production Luc Besson. Christophe Chabert

S’il fallait une preuve que la politique des auteurs a des limites, Chappie jouerait à merveille ce rôle : on y voit un cinéaste, le Sud-Africain Neill Blomkamp, dont on a pu apprécier la cohérence de ses deux premiers films (District 9 et Elysium), commuer sa rage punk en une grotesque parodie sur un scénario écrit à la va-vite, incapable d’élaborer le moindre discours et même pas foutu d’assurer le minimum syndical en matière de blockbuster futuriste. Pourtant, tout est là : l’alliance entre l’humain et la machine (ici, un robot policier doté d’une intelligence artificielle est récupéré par des gangsters très méchants pour lui faire commettre un braquage permettant d’honorer leurs dettes), un futur proche qui ressemble à une extrapolation de nos ghettos sociaux contemporains, un goût de la destruction et des ruines urbaines…

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Cet effet de signature n’est qu’un trompe-l’œil : Blomkamp ne retrouve jamais la substance politique, même manichéenne et schématique, de ses œuvres précédentes. Dans Chappie, au contraire, la fable, vaguement repiquée du Robocop de Verhoeven et hybridée façon "high concept" avec A.I., n’a strictement aucune portée. Par exemple, on n’y voit que deux catégories de la population : ceux qui vivent dans des "suburbs" dégueulasses, surarmés, débiles et portés par leur haine des flics, et ceux qui travaillent pour la police, qui passent leur temps à chercher des solutions techniques pour buter ces délinquants.

Qui protègent-ils ? On n’en sait rien, car la population n’existe pas dans le film, comme si Blomkamp avait tiré les leçons des critiques (injustifiées) contre Elysium, où on lui avait reproché de montrer des riches égoïstes, paranos et cupides. Ici, du coup, il n’y a que les pauvres, tous plus caricaturaux les uns que les autres…

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Mais côté police, ce n’est guère mieux, à commencer par un Hugh Jackman totalement ridicule, "bad guy" affublé d’une coupe mulet et d’un bermuda crème, premier signe d’une direction artistique en roue libre, qui atteint son pic lorsque les deux membres de Die Antwoord (groupe sud-africain) débarquent à l’écran.

Zarma, le blockbuster pourrave !

Que Blomkamp soit manifestement pote avec le groupe, dont la musique est une version mainstream des délires d’Alec Empire avec Atari teenage riot, soit ; mais qu’il leur ait donné les rôles principaux en gardant leurs pseudos et en transformant le film en gros coup de promo pour leur propre univers, cela relève d’une cécité totale. Il y a de quoi rire à les voir canarder dans tous les sens avec des guns jaunes fluos, ou glander dans leur repère repeint avec des tags enfantins tout en exhibant à tout va leurs tatouages ; le plus drôle reste le moment où ils se trimballent avec des t-shirts à leur effigie, affichant ainsi un merchandising de sortie de concerts dans une prod’ hollywoodienne à 100 millions de dollars. Doit-on préciser qu’ils sont par ailleurs de très mauvais acteurs, participant à l’indigence générale d’un film qui multiplie les incohérences scénaristiques avec une constance rappelant les pires productions Besson ?

Blomkamp rate même le cœur de son film : son héros-robot. Pas techniquement, car c’est bien la seule réussite à mettre au crédit de Chappie (la motion capture permet en effet d’humaniser cette machine, lui donnant des mouvements souples et des réactions jamais mécaniques) ; en revanche, en choisissant de remodeler en permanence son caractère (un coup enfant innocent, un coup ado gangsta, un coup vengeur en colère, un coup génie de l’informatique), le cinéaste donne le sentiment de s’amuser avec un jouet coûteux et technologiquement sophistiqué.

Là encore, c’est le grotesque qui guette, en particulier quand Chappie adopte la démarche des voyous qui lui servent de parents, ainsi que leur argot, génialement traduit dans des sous-titres à base de « ouesh » (sic) et de « zarma ! » (re-sic). On n’ose imaginer la tronche de la VF ; quoique, en faisant ce petit effort, on cerne peut-être la véritable destination de ce navet aberrant à tous les niveaux (on n’a pas parlé des scènes d’action, illisibles comme du Michael Bay, ni du robot géant qui vole) : les franges les plus bas du front du public, qui se reconnaîtront alternativement dans les « nique la police » et dans la joie carnassière à exterminer ceux qui les prononcent.

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