Kazan, du désir à la fièvre

Dans la carrière d’Elia Kazan, dix ans séparent Un tramway nommé désir de La Fièvre dans le sang. Ces dix années-là sont pour lui un moment de vérité : alors qu’il était au sommet de sa gloire, adulé pour ce qu’il avait apporté au théâtre puis au cinéma américain, sans compter sa participation à la création de l’Actor’s studio, Kazan va connaître l’opprobre de ses contemporains suite à son témoignage devant la commission des activités anti-américaines emmenée par le sénateur MacCarthy. Un sceau d’infamie qui ne l’empêchera pas de continuer son œuvre, et même de la transcender, comme avec cette Fièvre dans le sang qui est sans doute son plus grand film.

Durant ces dix années, Kazan réfléchit aussi à son rôle d’artiste. Alors que ses premiers films véhiculaient des thèses fortement marquées par un idéal progressiste, il découvre que ce dogmatisme nuit à l’expression de la vérité humaine qu’il cherche chez ses personnages et ses acteurs. Dans La Fièvre dans le sang, il serait ainsi facile de prendre fait et cause pour le personnage de Natalie Wood, la jeune fille issue d’un milieu populaire, séduite et abandonnée par le fils à papa oisif campé par Warren Beatty. Trompée par son désir et ses illusions autant que par ce playboy, elle sombre dans la folie tandis que l’Amérique, elle, sombre dans la crise de 1929. Les rôles sociaux sont alors redistribués et, dans ce mélodrame flamboyant tourné en cinémascope et en technicolor, les sentiments s’exacerbent avant de se faner dans les regrets, la mélancolie et l’amertume. Pour Kazan, avant d’être des coupables ou des victimes, ses personnages sont d’abord des êtres humains, avec leurs allants et leurs faiblesses, qu’ils soient riches, misérables ou les deux.

Christophe Chabert

La Fièvre dans le sang
Mercredi 25 février à 20h, au CCC