Désireux d'éveiller les consciences en période pré-électorale, Lucas Belvaux lance un coup de poing idéologique en démontant la stratégie de conquête du pouvoir d'un parti populiste d'extrême droite. Toute ressemblance avec une situation contemporaine n'est pas fortuite...
Lucas Belvaux s'y attendait, il n'a donc pas été surpris : depuis la diffusion de la bande-annonce de son nouveau long-métrage, quelques élus du parti en ayant inspiré le scénario ont d'autorité (forcément) assimilé Chez nous à « un navet » (sic). Et considéré qu'il s'agissait d'un « film de propagande » (re-sic) n'ayant pas sa place sur les écrans, à deux mois du premier tour de l'élection présidentielle. Cela, bien entendu, sans l'avoir vu.
Pourquoi un tel effroi de leur part ? Est-ce bien raisonnable de craindre de la résonance d'un si modeste film ? Sans doute : ils savent l'opinion malléable et supposent Chez nous susceptible de rappeler aux oublieux ces mécanismes à la Machiavel, permettant de manipuler le peuple en douceur – avec son consentement de surcroît.
L'effet haine
La protagoniste de cette histoire y est choisie par un cadre du Bloc Patriotique, parti populiste d'extrême droite, pour être tête de liste aux municipales de sa petite ville du Nord. Mère célibataire méritante, infirmière libérale appréciée de tous, fille de syndicaliste communiste et dépolitisée, elle affiche le profil idéal dans un terreau fertile...
S'il y a 15 ans, Féroce de Gilles de Maistre semblait par endroits folklorique, Chez nous glace, assomme et agace à la fois. Parce qu'il repose sur du vrai, du tangible : il condense des éléments avérés sur les méthodes employées par le parti visé pour conditionner son électorat en instrumentalisant des peurs, la misère sociale, la crise économique, des boucs émissaires ; et en embobinant de malheureuses potiches sans culture politique parce qu'il faut bien des ”élus locaux”.
Ce faisant, Belvaux rappelle avec justesse que tous ses grands responsables se réclamant du peuple ou prétendant en appeler à ses suffrages n'en sont jamais issus : c'est sans doute l'argument le plus percutant, qui mériterait d'être seriné du début à la fin du film. Il est hélas écrasé par un trop-plein d'intrigues, car il y a tant à raconter : l'ancien membre du service de sécurité du parti viré au nom d'un processus de “dédiabolisation” en méritait un entier.
Reste que le problème majeur de Chez nous est qu'il va surtout intéresser un public prémuni de l'extrémisme, amusé de voir un Dussollier cauteleux aux antipodes de ses convictions, et bienveillant pour le personnage dupé d'Émilie Dequenne. À une époque où l'abstentionnisme et le vote protestataire l'emportent sur une quelconque mobilisation civique, on peut se faire du souci...
Chez Nous
de Lucas Belvaux (Fr.-Bel., 1h58) avec Émilie Dequenne, André Dussollier, Guillaume Gouix, Catherine Jacob...