"Je marche donc nous sommes" : marche et rêve

Je marche donc nous sommes

Magasin CNAC

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Exposition / Malicieusement intitulée "Je marche donc nous sommes", l'exposition collective du centre d'art le Magasin des horizons s'attaque, avec principalement des vidéos, au versant contestataire de la marche. Une proposition tout en sobriété et originalité qui fait écho à l'actualité sociale et commémorative.

Lumières éteintes, murs laissés bruts, espaces dégagés et ponctués d'immenses structures cubiques d'où se dégage le halo lumineux des vidéos projetées : la scénographie de la nouvelle exposition du Magasin des horizons a de quoi déconcerter les fidèles du centre d'art. Rappelons toutefois que la situation délicate que traverse l'institution n'y est pas pour rien : le bâtiment donne de sérieux signes de faiblesse tandis que le chauffage et le système d'éclairage ont carrément déclaré forfait.

Face à ces déconvenues, Béatrice Josse, directrice des lieux depuis 2016, a adopté la stratégie du judoka : tirer partie de la force de l'adversaire et faire ainsi de ces contraintes des atouts. D'où le choix de ne présenter quasiment que des vidéos (« des œuvres qui ne craignent absolument rien »). Et d'intégrer l'ensemble dans un programme plus vaste en partie hors les murs : la stimulante Académie de la marche, organisée depuis fin 2017 pour « questionner le déplacement contraint et inexorable des populations tout comme l'engouement récent de l'Occident pour ce mode de déplacement ».

Marche, contre-culture et transformations sociales

Outre des paires de fesses (en train de marcher) filmées par Yoko Ono, on appréciera, dans la première petite salle de l'exposition, les vidéos de la chorégraphe Trisha Brown dont les variations sur la marche sont autant de propositions d'élargissement du vocabulaire de la danse. Réalisées dans l'espace public au début des années 1970, ces actions attestent du désir (rétrospectivement utopique) d'échapper au marché de l'art et aux institutions. Également soucieux d'investir l'espace public, le Hongrois Endre Tót organise quant à lui, de l'autre côté du "rideau de fer", des marches sans revendication caractéristiques des modes opératoires furtifs adoptés par les artistes en prise avec un régime autoritaire.

Direction ensuite un grand espace dégagé où sont présentées plusieurs vidéos sur grand écran – les précédentes l'étaient sur des téléviseurs. La première est consacrée à soeur Corita Kent, dont les processions euphoriques pourraient redonner la foi au plus sceptique des athées. En effet, cette improbable nonne américaine organise dans les années 1960 des marches militantes dont les rituels inventifs participent à la nécessaire reconstruction du corps social. Au regard de ses actions, il apparaît clair que la marche est avant tout un moyen d'être ensemble – d'où le titre de l'exposition.

C'est également la dimension fédératrice qui est au cœur de la mini-rétrospective photographique centrée sur les grandes manifestations grenoblo-isèroises, des ouvrières des soieries en 1906 à la marche blanche de 2012 pour Kevin et Sofiane (deux jeunes tués dans une rixe à Échirolles) en passant par celle de soutien aux faucheurs d'OGM. En découvrant cette collection d'images, le visiteur pourra constater la diversité des mobilisations locales et l'inventivité de leurs modes d'action. Car ce n'est pas le tout de marcher, certaines façons de le faire sont plus efficaces que d'autres. C'est ce dont rend compte une des autres vidéos du parcours : celle de la vidéaste française Clarisse Hahn qui documente le combat de paysans mexicains expropriés qui font valoir leurs droits en manifestant totalement nus dans les rues de Mexico.

« Que nos émois se changent en émeutes »

Des vidéos, des photos, des affiches... Je marche donc nous sommes est une exposition que l'on peut qualifier de sobre dans la forme. Les adeptes d'installations pourront tout de même se consoler avec l'œuvre de Pamina de Coulon, plasticienne suisse associée au Magasin des horizons, dont les gigantesques banderoles investissent avec énergie la "grande rue" du centre d'art. Les slogans que l'on peut y lire (« vous ne nous réprimez pas, nous nous renforçons » ; « que nos émois se changent en émeutes ») ainsi que des extraits de textes (de Marguerite Duras, de Rainer Maria Rilke...) tout autant politiques que poétiques, résonnent intelligemment avec les vidéos visionnées précédemment.

Accompagné de ces réflexions, le visiteur peut alors suivre l'invitation qui lui est faite par Yoko Ono dans le hall d'accueil (« dessine une carte pour te perdre ») et arpenter en tous sens l'exposition. C'est d'ailleurs certainement la meilleure chose à faire : marcher pour accompagner le regard et la pensée, et comprendre que se mettre en marche, avant d'être une formule de communication jupitérienne, est une façon de mobiliser les forces sociales et cérébrales.

Je marche donc nous sommes
Au Magasin des horizons jusqu'au dimanche 14 octobre

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