Concert / Alors que tambourine une rumeur de plus en plus flatteuse, les cinq Dublinois de Fontaines D.C., qui n'ont toujours pas commis le moindre album, déboulent sur la scène de la Bobine pour mettre tout le monde d'accord.
Au rayon "next big thing", ce "demain on rase gratis" version (presse) rock'n'roll maintes fois évoqué ici, Fontaines D.C. est sans doute la chose – prochaine et grosse donc – qui a, ces derniers mois, le plus fait frissonner les suiveurs indés. De ce genre de frissons, si propres à ce milieu, qui caractérisent si bien la crise de manque aigüe. Mais alors du manque de quelque chose qu'on ne connaît pas encore, ou si peu. Auquel on aurait à peine goûté.
On sait trop à quel point la presse britannique a couronné des têtes et bâti des royaumes de futures légendes sur la foi de quelque chimérique single, d'une gueule de petit prince dépenaillé ou d'un storytelling à la croisée de Walter Scott, Charles Dickens et Martin Amis. On sait combien souvent la chose a fait long feu – ou embrasé des continents, c'est arrivé. Et on ne sait que trop comment cela a marché à tous les coups, le panneau étant trop rutilant pour ne pas tomber dedans la tête la première à la recherche d'une commotion dont on se souviendra longtemps.
Alors voilà Fontaines D.C. donc, jeune (forcément) quintet dublinois (le D.C., comme Dublin City, fait ici office de code postal et de marque de naissance, ces types là étant plus irlandais qu'une page du Irish Times tachée d'huile de fish & chips), dont la chronique, la rumeur, le murmure froissé des pages (y compris internet) nous assurent que l'on tient là les cadors de demain. Et tout ça avec quoi ? À peu près trois fois rien.
Charges soniques
Sauf qu'en grattant un peu le gravier pailleté de la hype, dans les plis de ce néant triple épaisseur, on déniche des singles (quatre, plus les faces B) tendus comme des strings post-punk rincés à la Soupline mélodique ; un chanteur au charisme neutre tout britannique (cette espèce de flamboyance qui vous contemple de loin, évoquant tant la superbe tout en raideur cadavérique d'un Ian Curtis que le je-m'en-foutisme chewing-gum d'un Mark E. Smith) et un éclectisme d'influences souligné à gros traits : musicalement les groupes The La's, PIL (l'asile de fou qui accueillit la gargouille Johnny Rotten en sortie des Sex Pistols), les Beach Boys, Air, The Pogues (allez donc vous débrouiller avec ça quand Fontaines D.C. évoque surtout un quickie entre The Fall, The Undertones et The Strokes), et, pour le reste, James Joyce, W.B. Yeats ou T.S. Eliot.
Oui, car derrière les charges soniques se niche l'âme d'un poète que l'on pourrait aisément croiser aux proverbiales "portes du cimetière" smithien. Celle de leur chanteur Grian Chatten griffonnant ses saillies sur la déliquescence de notre monde et du sien en particulier dans un état proche de l'Ohio et de cette sorte de transe créatrice automatique qu'affectionnaient les surréalistes. Le tout sans avoir l'air d'y toucher outre mesure. Formule imparable à laquelle on ne cherche même pas à résister. L'avenir dira le reste. Et il déboule comme une furie.
Fontaines D.C. + Yves Bernard
À la Bobine vendredi 8 février à 20h30