"Les Pires" : Pas de quartier ! 

Le film coup de cœur / Peut-on faire une satire douce sur le milieu du 7e art ? La paire Lise Akoka & Romane Gueret répond par l’affirmative avec un premier long-métrage oscillant entre causticité et bienveillance, cernant les travers d’un certain cinéma d’auteur… auquel il appartient pourtant. Prix Un Certain Regard à Cannes et Valois de diamant à Angoulême.

Cinéaste belge venant tourner un "film social" dans le nord de la France, Gabriel fait passer des essais à des gamins du cru. Et recrute pour ses premiers rôles des pré-ados et ados estampillés comme étant plutôt "à problèmes" – d’ailleurs, les gens de la Cité Picasso les surnomment "les pires", c’est dire. Mais la caméra ne se trompe pas. Quant à Gabriel, il croit beaucoup en ce que lui dit sa caméra…

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Figure de style ô combien utilisée (et souvent agaçante quand elle repose paresseusement sur une pseudo-connivence avec le spectateur), la mise en abyme offre au cinéma plus que n’importe quel autre art, un plaisir jubilatoire dans la mesure où elle permet d’assister en parallèle de l’intrigue principale à la fabrication d’une fiction… fictive. Là réside le moindre de ses paradoxes. Car si elle brise le fameux quatrième mur séparant le public des personnages, certes de manière divergée, et rend apparent le dispositif de tournage – c’est-à-dire la part la plus triviale de la machinerie cinématographique –, elle ne parvient pas à en entraver le miracle alchimique. D’ailleurs, on ne compte pas (plus) les films sur le cinéma qui sont tout simplement de très grands films, de Chantons sous la pluie (1952) à La Nuit américaine (1973) en passant par Le Mépris (1963), L’Important c’est d’aimer (1975) ou le récent Ne coupez pas (2017). Placer tant d’énergie à rendre des choses opaques transparentes est forcément fascinant.

Toute ressemblance…

Il ne faut pas être grand clerc pour deviner, derrière la figure de ce Gabriel un peu perché mais pétri de bonnes intentions et de naturalisme – non, on n’a pas dit "de misérabilisme" –, aimant (re)créer de la vérité sur ses plateaux avec des jeunes interprètes non professionnels, les modèles ayant pu inspirer les réalisatrices : un (gros) peu de frères Dardenne par ici, une pincée de Jean-Bernard Marlin par là ; et puis du Bouli Lanners, du Bruno Dumont, du Samuel Collardey, etc. Pour Lise Akoka & Romane Gueret, l’intention n’est pas de vitupérer le cinéaste en le dépeignant comme un profiteur insensible venu faire son beurre sur le dos de la misère, mais comme un brave type maladroit que ses ambitions de démiurge (et le respect de son plan de travail) rendent hermétique à la psychologie réelle de ses comédiens, achoppant de fait à les diriger. Heureusement qu’il dispose pour effectuer le travail de médiation des assistantes, scriptes etc. qui déminent les situations conflictuelles, préparent les ados aux prises sensibles, battent le pavé pour rassurer les riverains, aplanissent les écueils que ce rêveur tout à son projet idéal ne considère pas du haut de son Éther – excellent Johan Heldenbergh.

Venues du casting (qui servait de support à leur court-métrage Chasse royale), les autrices ont eu de quoi nourrir leur film de vécu et multiplient les séquences côté coulisses, hors du plateau, montrant l’étrange dissociation vécue par les jeunes interprètes durant le tournage et le regard posé sur eux – entre incrédulité jalouse et moquerie – par les jeunes de la cité. Le corollaire d’une telle expérience semble toujours le même : offrir l’espoir d’une porte de sortie à un(e) gamin(e) ayant grandi hors du sérail. En l’occurrence ici, c’est la jeune Mallory Wanecque dont le personnage se prend à rêver de tenter sa chance dans le milieu du cinéma après le film de Gabriel… et qui grâce à sa prestation, aspire désormais à une carrière de comédienne. À la différence de talents précoces prématurément carbonisés au seuil de la gloire, elle dispose de deux anges-gardiennes en les personnes des réalisatrices qui semblent décidées à la couver encore quelque temps…

★★★☆☆ Les Pires de Lise Akoka & Romane Gueret (Fr., 1h39) avec Mallory Wanecque, Timéo Mahaut, Johan Heldenbergh… En salle le 7 décembre

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