Hlynur Pálmason : « J'ai toujours tourné là où j'ai grandi et où je vis ; ce sont des films très locaux »

Godland / Le cinéaste islandais Hlynur Pálmason, dont on avait apprécié "Un jour si blanc" (2020), frappe un nouveau grand coup avec "Godland", mi road-movie, mi exploration intérieure où Lucas, un prêtre-photographe danois, tente d’évangéliser une communauté islandaise. Une œuvre d’une radicale beauté dont il parle avec chaleur. Conversation.

Vous avez choisi un format d’image carré (1.33) rappelant la photographie et qui pourrait donner l'impression que vos personnages demeurent prisonniers de ce cadre restreint. Paradoxalement, ce format offre énormément de profondeur et d’espace…

Hlynur Pálmason : Oui, j’ai cherché un format qui soit plus intime parce que sur mon film précédent Un jour si blanc, j’avais tourné en super 35 et en format large, ce qui m’avait posé beaucoup de problèmes à différents niveaux – notamment parce que le négatif n’est pas très large. Là, j’avais envie de travailler avec une surface de négatif plus large, ce qui correspond au format 1.33 donc au format académique. Et j’en suis tombé amoureux, parce qu’il m’a permis de me rapprocher des visages et de capturer l'échelle de ces paysages de façon assez intime. Bref, de remédier à ce qui m’avait posé problème dans mon film précédent.

Puisque vous évoquez Un jour si blanc, il présente un point commun avec Godland : la manière dont vous capturez le passage du temps. Le cinéma est-il pour vous l’art d’imprimer la durée ? 

À l'école de cinéma déjà, j'ai commencé à chercher ma voie, à chercher comment travailler ce moyen d’expression. Ce qui m’a paru le plus intéressant, c’est justement que le cinéma est un médium du temps parce qu’il y a un début et une fin. À travers ce temps de 90 ou 120 minutes, on a le temps de créer une expérience. 

Par ailleurs, j’ai toujours été fasciné par les saisons – je ne pourrais pas vivre dans un pays où il n’y en a pas –, je leur trouve une grande beauté. Les fixer sur pellicule, c'est quelque chose que j’ai toujours eu envie de faire et qui est un ancrage dans mon travail. Comme la scène d‘ouverture avec la maison dans Un jour si blanc, ça m’a donné l’impulsion d’écrire et de la tourner sur une longue période. Le fait de tourner toutes les semaines, très régulièrement, ça me rappelle aussi que je suis cinéaste. Quand on est réalisateur, on a tendance quelquefois à faire un film par à-coups et à rester très longtemps loin des caméras. Et moi j’aime bien avoir toujours les deux pieds dedans. 

Outre ces évolutions de nature, vous capturez celles des comédiens puisqu’on retrouve ici notamment Ingvar Sigurðsson et la jeune Ída Mekkín Hlynsdóttir, avec qui vous devez avoir un lien de parenté… 

Oui, c’était tout à fait la même idée : je viens d’ailleurs de tourner un court-métrage qui s’appelle Nest, qui est en montage ; c’est une façon pour moi de mettre en boîte la vie avec mes enfants parce que je trouve qu’ils grandissent extrêmement vite. Le temps passe à une vitesse folle, c’est une façon pour moi de le capturer, de le garder avec moi. Ída est effectivement ma fille et elle joue dans tous mes films. Mes fils aussi jouent des petits rôles – ce sont des films que je fais toujours de façon très artisanale, avec de petites équipes et souvent les mêmes personnes autour de moi (acteurs ou équipe). J'ai toujours tourné autour de là où j'ai grandi et où je vis ; on pourrait dire que ce sont des films très locaux.

L’anglais nous sert aujourd’hui pour communiquer ; mais dans votre film, deux langues coexistent et s’affrontent jusque dans le titre : le danois et l’islandais. Cette double présence est un choix autant historique et artistique que politique…

Je me sens moi-même très lié au Danemark comme à l’Islande ; parfois un petit peu entre les deux : il y a souvent des malentendus entre les deux pays. En faisant ce film, j’avais envie de trouver ce qui les oppose – la langue, évidemment. Traditionnellement, les Danois ne comprennent pas l’islandais et ne s’embêtent pas à l’apprendre, alors que les Islandais apprennent le danois. C’était même obligatoire à l’école jusqu’à récemment. Autrefois, dans les milieux islandais aisés, on parlait danois le dimanche.

Du photographe ou du prêtre, quelle face du personnage de Lucas vous fascine le plus ?

J’ai commencé à me sentir plus proche du personnage au moment où j'ai compris qu’il aurait un appareil photo, parce que ça rendait son personnage plus contemporain, c’était plus exaltant pour moi. Parce que j’en suis venu à me demander à quoi ces photos ressembleraient, qui il photographierait sur son chemin, dans quelles situations – est-ce que ce serait un portrait plus intime, un portrait de groupe, plus posé… Ça m'a beaucoup stimulé et permis de passer du passé à quelque chose de plus actuel. 

N'y a-t-il pas aussi une forme d'ambiguïté ou de paradoxe dans ce personnage, qui est à la fois tourné vers l'immatériel de la foi et quelque chose de totalement terrestre, la photographie, totalement liée à la chimie, voire l’alchimie à cette époque ? 

Mes personnages souvent sont assez mystérieux pour moi, notamment parce qu’ils peuvent être un mélange de gens que je peux connaître (ou un petit peu de moi-même évidemment), avec différents pourcentages entre mes amis, ma famille… Ils restent un peu des énigmes à mes yeux, même pendant mon écriture. Par exemple, je ne leur construis pas un historique énorme et ça donne beaucoup de responsabilité à mes acteurs. Mais en même temps, comme j'écris toujours un rôle pour un acteur en particulier, c’est une démarche qui se fait sur le long terme.

J’ai commencé à écrire Godland à partir de 2013. J’ai dit assez tôt à Elliott Crosset Hove, qui joue Lucas, que j’avais un personnage pour lui. C’est un approfondissement au fur et à mesure, qui leur donne beaucoup de libertés. Et comme en plus je tourne toujours chronologiquement, je vois mes acteurs rentrer progressivement dans leur personnage. Au début, ils ne se sentent pas forcément en confiance et petit à petit, ils prennent confiance et ils incarnent encore plus.

Ils ont une grande responsabilité dans la construction du personnage, mais aussi un énorme investissement physique dans ce que vous leur demandez d’accomplir avec un enjeu d’occupation d’espace…

Oui, depuis deux ans j'ai compris ce que j'aimais faire, la façon dont j'aimais travailler. Je me suis rendu compte que si je voulais parler aux acteurs comme si je savais tout de ce qui se passait, de ce qu'ils avaient en eux ou de ce qu'ils pouvaient donner, je me sentais un peu comme un imposteur : ça n’était pas du tout une démarche honnête pour moi. Je trouve que ça marche mieux si je prends le truc à l’envers, c’est-à-dire que je sais pour qui j'écris : je leur mets ça sur le dos mais avec un investissement très en amont. Je fais ce que j’appelle des "démos vidéo" pendant le développement. Donc avec vraiment des éléments à la fois audio et visuels. Et puis je leur fais lire les versions du scénario bien sûr, pour qu’ils trouvent leur rapport à leur personnage. Ce que je préfère maintenant dans ce métier, c’est de me retrouver étonné par le résultat. 

Ce serait évidemment une erreur de considérer Lucas avec les yeux d’aujourd'hui, car il est un homme de son époque, mais il n’est pas spécialement sympathique. Avez-vous de la compassion pour lui ? 

Je dois reconnaître que, si je devais m'identifier à un personnage du film, ce serait à lui. J'aurais envie de m’identifier plutôt au personnages d’Ida ou à celui de Ragnar, mais je dois dire qu'il y a beaucoup de choses chez lui que je comprends – même s'il fait des choix qui devaient être vus comme lâches, c'est quand même un personnage qui génère une certaine sympathie. Il a lui-même un peu d’empathie ; simplement, comme tout un chacun, lorsqu’il est poussé dans ses derniers retranchements, il lui arrive de ne pas montrer le meilleur de lui-même.

Quand les choses vraiment tournent mal, que la situation devient un merdier, on se rend compte qu’il y a beaucoup de gens qui ne sont pas là pour nous, dont les comportements peuvent vraiment changer. Lui, c’est en rencontrant la rudesse de la nature, en tombant malade… C’est trop pour lui : c’est très humain et très vrai. On serait beaucoup à réagir comme lui – simplement, on ne veut pas l’admettre. J’ai compris tout de suite que Lucas ne serait pas un héros classique. Il a un certain charme mais il penche quand même plutôt vers l’anti-héros. 

Lorsque Lucas a épuisé sa réserve de sels d’argent, il ne peut plus prendre de photographies. Et vous, avez-vous déjà réuni assez de sels d’argent pour un nouveau film, outre Nest ?

En 2013, j’avais donc commencé à travailler sur trois longs-métrages qui se sont développés et qui ont été terminés entretemps : Winter Brothers, Un jour si blanc et Godland. Là, je suis dans une phase où je commence à travailler sur mes trois prochains. J’ai commencé à tourner, à écrire, à développer et petit à petit, je commence à entrer dedans. Je pense qu'ils seront quand même assez différents : ils sont à la fois un peu le prolongement de ce que j'ai déjà fait et je sens qu'ils sont en train de partir dans une direction différente. C’est ça que je trouve assez exaltant. Je vais continuer d'utiliser mon environnement familier, mais aussi introduire de nouvelles personnes, mais ce sera toujours quelque chose d'assez intime et artisanal.

 

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