A Scanner Darkly

Expérimentateur lunatique, Richard Linklater nous donne à voir la plus fidèle adaptation d’un ouvrage de Philip K. Dick livrée jusqu’ici sur grand écran. Au risque de plonger son spectateur dans les méandres d’une torpeur psychotrope. François Cau

Bizarre bonhomme que Richard Linklater. Aussi bien capable de verser dans le film romantique ultra-intimiste (les plaisants Before Sunrise et Before Sunset avec Julie Delpy et Ethan Hawke), dans le produit hollywoodien calibré (le pachydermique Rock Academy), que dans les films d’auteur expérimentaux et intello-hardcore (Slackers, Waking Life), le réalisateur tente, avec cette transcription du génial Substance Mort de Philip K. Dick, de livrer une synthèse de tous ses univers.

Dans sa forme, A Scanner Darkly prolonge les superbes tentatives esthétiques de son pensum pesant Waking Life : des prises de vues réelles, retouchées à la palette graphique pour leur donner les atours d’un film d’animation au réalisme déroutant. Avec une équipe technique plus conséquente, Linklater parfait le trait et transcende avec brio ses précédentes tentatives. Tout comme Waking Life, ce film est d’une beauté visuelle renversante, mais, malheureusement, s’avère assez imbitable dans son traitement scénaristique. Les lourdes prétentions métaphysico-existentialistes du cinéaste (qui finissaient par rendre Waking Life insupportable) se lovent avec déférence au matériau d’origine, mais ce respect à tous crins d’une œuvre déjà bien barrée risque forcément de perdre ceux qui ne l’ont pas lu.

Abus de substance

Dernier chef-d’œuvre d’un Philip K. Dick rongé par la paranoïa suscitée par ses prises répétées de drogues dures et douces, A Scanner Darkly / Substance Mort est le récit, partiellement futuriste, d’un agent infiltré chez les amateurs d’une nouvelle drogue destructrice, la mystérieuse Substance D. Affublé d’une combinaison corporelle brouillant son identité (idée brillamment exploitée grâce au parti pris visuel), accro à la dope qu’il est censé traquer, le flic perd peu à peu ses repères, obligé de fournir des preuves sur lui-même à ses supérieurs…

Il faut reconnaître à Richard Linklater un boulot conséquent pour tenter de retranscrire de façon lisible les extrapolations flippées à mort du bouquin original. Il s’en sort avec les honneurs, en choisissant un entre-deux forcément bancal : une plus grande linéarité narrative, contrebalancée par de longues plages dialoguées (portant sur les délires entre camés et les évaluations professionnelles du héros). Les scènes fonctionnant le mieux demeurent celles tirées intégralement du livre de base, telle cette overdose hallucinée décrite en voix-off avec un humour salutaire, disséminé avec parcimonie. Les longs tunnels de dialogue semblent rédhibitoires, mais participent à la volonté de perdre le spectateur dans les interrogations floutées du héros. L’amère conclusion enfonce le clou du doute sur le bien-fondé d’un film mélangeant assez (trop ?) habilement l’art conceptuel et le cochon hollywoodien.

A Scanner Darkly
De Richard Linklater (EU, 1h40) avec Keanu Reeves, Robert Downey Jr…

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