Franz et François

François Damiens, acteur, star de la télé belge, découvert dans “Dikkenek“ et “OSS 117“, montre dans “Cowboy” qu'il est surtout un comédien subtil et émouvant. Christophe Chabert

En allant rencontrer François Damiens, on pensait passer un bon moment avec un acteur comique avec qui on allait bien se poiler. De fait, on a passé un bon moment, mais on a causé sérieusement avec un garçon intelligent et subtil, comédien en quête de profondeur découvrant enfin la richesse d'un métier qu'il a toujours voulu faire, mais dont il dit ne pas connaître grand chose. Damiens, pour beaucoup, c'est l'espion belge d'OSS 117 ou le photographe grande gueule de Dikkenek, auteur de cette réplique géniale lancée à la face de la starlette Mélanie Laurent : «Va chercher l'poney !»

Pour les Belges, c'est surtout François L'Embrouille, piégeur de monsieur tout-le-monde et de quelques stars dans des caméras cachées qui tournent aujourd'hui en boucle sur Youtube. Pour ses deux Benoît de potes, Poelvoorde et Mariage, c'est juste "Franz", camarade de tournage et de tournée pour un film qui est une véritable fierté pour tous les trois : Cowboy.

François L'Embrouille, mais pas trop

«Chercher à faire rire pour faire rire, ça n'a aucun intérêt» lâche François Damiens. On se pince en réécoutant l'interview. Car Damiens nous a authentiquement fait pleurer de rire dans ses rôles précédents, et il le fait encore dans Cowboy par un mouvement de sourcil gêné face à la tornade Poelvoorde ou par une improbable manière de courir dans la rue («Franz court sans bouger le cul» résume Poelvoorde, fasciné !).

«J'ai toujours voulu faire de la comédie, mais je me suis dit que je devais d'abord faire des études un peu plus sérieuses» commente-t-il. Le sérieux passe par le commerce, et l'affaire entendue, il tente le conservatoire. Recalé ! «J'avais un ami qui produisait des caméras cachées, je lui ai demandé si je pouvais en faire une, puis deux, puis trois. Et maintenant j'ai une émission en Belgique.» Dans ces sketchs hilarants, François L'Embrouille se fond dans la masse en vendeur de frites odieux, dragueur de speed dating égocentrique, frimeur décoloré laissant des pauvres gens changer la roue de sa décapotable... Mais il ne masque pas la finalité de la manœuvre : «Je continue parce que j'ai envie de faire au cinéma des trucs qui me parlent. Les caméras cachées, c'est vachement oxygénant. Je préfère garder ma carrière en main et ne pas me faire emporter dans des coups commerciaux.» Il ajoute, modeste : «Si tant est que je suis un acteur commercial !»

En fait, le coup commercial, c'est évidemment une des farces de notre ami Luc Besson, qui lui a fait jouer le flic belge con et gras dans Taxi 4. Il assume d'avoir accepté l'infamie pour débloquer le financement de Dikkenek, mais on ne l'y reprendra plus. Tant qu'à faire, il préfère devenir l'emblème de Duvel, gros partenaire culturel en Belgique et «meilleure bière du monde» selon Benoît Poelvoorde, à laquelle Damiens à vendu sa silhouette le temps d'une pub improvisée au coin du zinc.

Le plus grand des anonymes

«Je ne vais jamais au cinéma, je ne m'étais jamais rendu compte que les personnages évoluaient !» François Damiens a découvert cette évidence en jouant le rôle du caméraman faussement ordinaire de Cowboy. «Au début, on se dit que c'est un gros lourd et que c'est Benoît la tête pensante. Finalement, la situation se retourne complètement et on découvre que Benoît n'est pas apte à communiquer avec les gens»

Lors d'une séquence magnifique, ce sont véritablement deux visions du cinéma qui s'affrontent : Damiens filme à la Cassavetes des gens ordinaires qui chantent autour d'un piano, Poelvoorde le lui reproche en disant qu'«il ne se passe rien». Quand on comprend que ce rôle-là lui a été écrit sur mesure par le réalisateur Benoît Mariage après demande express de Damiens lui-même («C'est la seule démarche que j'ai jamais faite dans le cinéma. J'ai vu Les Convoyeurs attendent il y a neuf ans, et c'est mon film préféré, j'arrêtais pas de le regarder»), on voit à quel point l'acteur est le véritable alter ego du metteur en scène dans le film.

La force du casting a permis aux larrons de faire un enfant dans le dos aux "investisseurs". «Quand ils ont vu le film, ils n'étaient pas déçus, mais ils ne comprenaient pas pourquoi on n'avait pas fait un film purement comique. Justement, Benoît Mariage n'est pas tombé dans le panneau "Poelvoorde avec L'Embrouille, ça va être de la grosse blague". Ç'aurait été trop évident...»

L'évidence, Damiens s'en méfie comme de la peste. Ainsi, dans les mois à venir, il sera à l'affiche d'un film avec Carole Bouquet (Les Hauts murs), d'un autre avec Daniel Auteuil (Ma fille a 15 ans) et du nouveau... Jacques Doillon ! Là, c'est pendant l'interview qu'on se pince pour être sûr d'avoir bien entendu. Mais dans la foulée, Damiens se lance dans une tirade existentielle bouleversante qui chasse les doutes : «Est-ce que le cinéma, c'est vraiment ce que j'ai envie de faire ? Est-ce que j'ai envie de dire à la fin de ma vie : "J'ai fait acteur, est-ce que c'est pas un monde pourri, factice" ? Est-ce que je veux dormir dans des hôtels comme celui-là [le Hilton] ou avoir une petite baraque avec ma femme et mes enfants, que je n'ai pas vus depuis trois mois ? On fait des interviews, on se fait connaître, donc on s'écarte...» On sait, en fait, ce qui nous plaît chez François Damiens : qu'il soit Franz, François ou L'Embrouille, il ne triche jamais. Jusqu'ici, l'acteur qui savait être du côté des vrais grands de ce monde, les anonymes, c'était Olivier Gourmet. Désormais, cette marque belge déposée se partage équitablement avec François Damiens.

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