L'Amer Rousseau

Michel Raskine tire le portrait d'un Jean-Jacques Rousseau vieillissant et aigri dans un spectacle intelligent, drôle et mordant, emporté par une fantastique Marief Guittier. Christophe Chabert

Allongé sur un banc, emmitouflé dans des couvertures alors que l'aube se lève sur sa maison à la campagne, Jean-Jacques Rousseau se réveille lentement. Que ce soit Marief Guittier qui lui prête ses traits féminins ne choque pas longtemps - surtout quand l'actrice atteint un tel sommet de maîtrise de son jeu - car toute la scénographie, entre moquette vert fluo et arbre en carton-pâte, joue le faux-semblant. Et le spectacle ? Il montre d'abord un Rousseau illuminé, en plein trip exalté face à la nature, évoquant ses siestes en barque et ses promenades en forêt. On se demande, pendant ce premier quart d'heure à la lisière de l'ennui, où Raskine veut en venir, quel intérêt il peut bien trouver à ce Rousseau des champs à la naïveté surannée...

Le Misanthrope suisse

Soudain, le valet un peu effacé du philosophe (Bertrand Fayolle, impeccable de flegme et de présence discrète face au monstre), le rappelle à l'ordre : «Le Théâtre !» lui crie-t-il. C'est alors un tout autre Rousseau qui apparaît, Raskine révélant enfin l'objectif du spectacle : casser l'image d'un Jean-Jacques Rousseau humaniste et généreux, et en faire un personnage de Thomas Bernhard, un monstre d'amertume ruminant avec aigreur une misanthropie hargneuse et revancharde. C'est contre Molière que s'exerce d'abord son courroux, et notamment la manière dont il traite avec ironie Alceste dans Le Misanthrope. Pour Rousseau, ce personnage qui pourfend ses congénères s'adonnant aux plaisirs de l'existence est en fait celui qui, dans la pièce, dit le vrai, et mérite pour cela un respect infini. Pour compléter sa thèse, il va exemplifier le propos avec sa propre expérience : une drague homosexuelle à Lyon qui lui inspire un profond dégoût, un comparatif grossier entre les peuples européens dont il déduit que plus ils se laissent aller à la bonne chère, plus ils se noient dans la facilité (les Suisses comme lui, bien sûr, sont un modèle de tempérance !)... Rousseau n'est plus le penseur intègre que l'on a l'habitude de se représenter, mais un intégriste de la pensée et de la raison vomissant la vie pour mieux oublier que celle-ci l'abandonne lentement. Le spectacle réussit à rendre pathétique cet homme empêtré dans des passions qu'il prétend fuir, plongeant dans la confusion en pensant garder une complète maîtrise de son existence. Ce que Raskine traduit parfaitement dans le dernier mouvement : les phrases ne sont plus que des aphorismes qui s'entrechoquent et se répètent, les restes d'une pensée en lambeaux, disloquée comme le corps de Rousseau après son accident. La nuit tombe sur lui comme sur la scène, et la mort emporte son ressentiment. Ce spectacle étonnamment drôle et vif derrière sa sombre cruauté se termine ainsi par un magnifique fondu au noir.

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