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La Grotte des rêves perdus
Par Christophe Chabert
Publié Vendredi 26 août 2011
En réalisant ce documentaire en 3D sur la grotte de Chauvet, Werner Herzog reste fidèle à son œuvre de fiction, tout en dissimulant dans les creux de sa caverne un autoportrait en cinéaste confiant dans l’avenir de l’art. Christophe Chabert
Des paléontologues s’enfoncent, lumières en main, dans une grotte dont les parois sont recouvertes de sédiments et y découvrent les peintures rupestres laissées par les hommes de Néanderthal, miraculeusement conservées après des milliers d’années. Immédiatement, ces images évoquent la conquête spatiale et les astronautes arpentant les cratères lunaires, ce que l’usage de la 3D vient renforcer. Ainsi Werner Herzog a-t-il pensé "La Grotte des rêves perdus" : comme un pont fascinant entre le passé et le futur dont il serait à la fois le témoin privilégié et l’architecte malicieux. Car s’il reste ici dans un cadre purement documentaire, le cinéaste y établit un dialogue avec ses œuvres de fiction les plus célèbres : les travellings le long des parois rappellent ceux du générique de "Nosferatu", les explorateurs sont de lointains cousins des conquistadors d’Aguirre, la montagne qui entoure Chauvet renvoie à celle que devait franchir le bateau de Fitzcarraldo… La bizarrerie des différents intervenants (l’un d’eux s’habille avec un costume inuit pour retrouver les sensations des hommes préhistoriques à l’ère glaciaire, un parfumeur sillonne les gorges de l’Ardèche pour y sentir l’odeur de grottes enfouies !) trouve là aussi un écho avec l’homo herzogus, dont le film tente de cerner l’origine dans la nuit des temps.
«Homo spiritus»
Lorsqu’il contemple les peintures incroyables qui recouvrent la grotte, leur manière de capter le mouvement, de figurer les animaux dans leurs humeurs, Herzog s’interroge aussi sur sa propre manière de faire du cinéma. Quand les hommes de Néanderthal peignaient, ils innovaient techniquement en s’approchant d’une forme de spiritualité, le geste artistique étant aussi une tentative de s’approprier littéralement leur sujet. Herzog, lui, associe la 3D (ici indispensable, car elle seule peut rendre compte du relief des grottes, et faire sentir le génie des dessins qui utilisaient ces perspectives naturelles) à un simple jeu d’ombres et de lumières, permettant au cinéma le plus primitif de rejoindre la technologie la plus actuelle dans un même objectif : la célébration d’un émerveillement face au monde, la naissance d’un «homo spiritus» plutôt que d’un «homo sapiens». Le postscript sidérant du film, loin de tout catastrophisme, le souligne discrètement : la nature se transforme, les espèces changent, et c’est par le cinéma et dans ces grottes bizarres que sont les salles obscures que l’on pourra en offrir une représentation digne de celles de nos ancêtres.
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Christophe Chabert