Just Philippot : « emmener les spectateurs sur des univers plus glissants »

La nuée
De Just Philippot (Fr, 1h41) avec Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne

La Nuée / Avec son premier long-métrage, le réalisateur Just Philippot réalise un carton plein : sélectionné à la Semaine de la Critique, prix spécial du Jury (et de la meilleur actrice pour l’actrice Suliane Brahim) au Festival de Catalogne, La Nuée annonce un renouveau dans le cinéma de genre hexagonal. Fantastique !

Il y a des connexions nombreuses entre La Nuée et votre précédent court-métrage, Acide, réalisé au sein de la résidence So Film. Comment est-ce que tout a commencé ?
Just Philippot : L’histoire et la trajectoire sont assez simples et folle. À la base, il y a la volonté de Thierry Lounas, fondateur de So Film et producteur chez Capricci — coproducteur de La Nuée avec Manuel Chiche de The Jokers — de se lancer il y a cinq ans dans un renouveau du cinéma de genre en changeant la façon d’écrire et de fabriquer les histoires. En initiant d’abord des résidences sur du court-métrage qui avaient pour but de faire se rencontrer les cinéastes, scénaristes, superviseurs VFX, compositeurs, illustrateurs, pour que des propositions graphiques, d’effets et de musiques collent tout de suite aux idées et donnent aux partenaires financiers plein d’indices et se concrétisent vite.

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J’avais été appelé pour représenter la région Centre, avec à mon actif plusieurs courts-métrages dont Ses souffles, un drame social d’une femme qui vit dans sa voiture avec son enfant et un documentaire, Gildas a quelque chose à nous dire sur mon frère polyhandicapé. Je suis arrivé sans aucune idée du cinéma de genre : j’aimais ça, mais je mélangeais les films comme tout le monde. Thierry m’a dit : « faites ce que vous voulez, je veux du cinéma fantastique » Ma petite fille venait de naître, je venais de faire une version suédée de La Mouche avec un lycée viticole… Tout ça mêlé, j’ai écrit en collant à ce qui me prenait au bide, à mes angoisses : ça a donné Acide. Thierry m’offre alors un passe-droit unique : devenir réalisateur. Je le tourne, il sort en 2018 et prend son essor, est pris à Clermont-Ferrand et là Thierry me parle d’un projet de long en résidence écrit par Jérôme Genevray et Franck Victor : l’histoire d’un nuage, non plus de pluie acide mais mortel, avec une famille au centre. Il me demande de le lire parce qu’il pourrait être un premier long idéal pour moi.

Cette nature qu’on a détraquée

C’est allé très vite…
Le temps que le scénario s’écrive : car il n’avait qu’un traitement à l’époque. Je l’ai eu dans les mains 6-8 mois après, avec les promesses d’un film de genre qui me laissait de la place pour parler de la famille et de la catastrophe. Et du monstre qui, pour moi, était la mère avant l’autre — cette nature qu’on a détraquée.

Il a fallu effectuer une passation grâce à Thierry et Manuel sur un scénario porté par deux scénaristes — qui ont fait un sprint d’écriture — et je me suis trouvé dans un sprint de réalisation. En décembre 2018, on a répondu à l’appel film de genre du CNC, on a obtenu l’aide, qui a été une première clef pour un financement assez rapide et on a tourné fin août, entre le Lot-et-Garonne et l’Auvergne. Le processus de fabrication a nécessité cinq ou six mois de préparation intense.

Les scénaristes n’ayant pas vu Acide, il y a eu un heureux hasard dans les convergences…
Franck et Jérôme avaient le droit de refuser le réalisateur ; quand ils ont vu Acide ça a été une première entrée prometteuse, je les ai rassurés sur ma façon de parler des personnages, j’avais vraiment envie de poser à plat leurs problématiques, de tomber amoureux de cette famille avant de tomber amoureux du genre du film.

Comment vous êtes-vous approprié le scénario ?
On a fait ça le plus intelligemment possible. On a travaillé à trois, puis je suis passé à la réalisation. J’avais un scénario à 15 ou 16 millions d’euros dont il fallait baisser le coût pour qu’il soit viable. Pour moi, c’est une période hyper intense où le scénario n’est plus un texte mais un support de travail avec lequel il faut composer. À partir de là, je ne peux pas impliquer les scénaristes qui ne sont pas dans le cœur des problèmes à résoudre.

Par exemple, le soutien de Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma impliquait qu’il fallait tourner en Auvergne. Le problème, c’est que le scénario est quasiment un huis clos dans une ferme du Lot-et-Garonne, donc il fallait trouver des décors secondaires en Auvergne.

Ont-ils eu leur mot à dire sur le choix des acteurs ?
Parmi les micro-modifications qui prennent de l’ampleur, à l’origine le personnage de Karim s’appelle Pierre Paquin, il est relativement bedonnant, a plus d’une quarantaine d’années et ressemble à une figure de la viticulture vue pas mal de fois. Je voulais un mec plus jeune, pas issu de ce milieu ; une sorte de nouvel entrepreneur ressemblant à la France d’aujourd’hui et qui comprenne Virginie mieux que les autres parce que lui aussi a dû trouver sa place. Tout ça était mélangé à travers l’incarnation d’un rôle, que je voulais le plus actuel possible. Je compose, je change, je ne demande pas à mes scénaristes de valider mes choix. Parce que, quand on n’a pas le désir d’une scène, on est capable de faire des mauvais compromis qui peuvent provoquer des conséquences sur l’intégralité du film. Il fallait que je désire tout, et que je réajuste tout comme une chaussure sur mesure.

Je savais que ce premier film pouvait me flinguer avec cette histoire de sauterelles mutantes

C’est un sytème extrêmement libre…
Tout l’intérêt de ce dispositif est d’avoir le meilleur du cinéma européen et du cinéma américain : à la fois dans sa fabrication et la liberté donnée dans l’écriture — les scénaristes ont eu carte blanche pour écrire une histoire à 20 millions — et à la réalisation — j’ai eu carte blanche parce qu’on aimait les films que j’avais réalisés et on m’a fait confiance. Les producteurs m’ont protégé sur mes choix et les orientations données au scénario : je répondais à des problématiques de production et j’avais des réponses solides dans l’orientation esthétique, artistique et je maitrisais ce que j’étais en train de faire.

J’étais dans une position où je réalisais mon premier film : si ça avait été un ratage complet, ils en auraient aussi essuyé les plâtres. Je savais aussi que sur ce premier film, je pouvais potentiellement me flinguer avec une histoire de sauterelles mutantes et avoir une étiquette dans mon dos : « a raté un film avec des sauterelles mutantes, n‘est capable que de ça. » J’avais des risques à prendre, j’ai voulu les prendre comme si c’était un premier et un dernier film — dans le sens où je ne devais rien avoir à perdre, tout tenter et être fier de mes erreurs.

La Nuée est cependant profondément collé à la réalité, ce qui est aussi le propre du cinéma de genre…
Oui, je me suis dit en lisant le scénario que la mutation des sauterelles était presque le cœur du truc. Et j’étais embêté parce que c’était impossible du point de vue esthétique, je n’avais pas les moyens de changer leur couleur, leur taille — c’était un autre cinéma. Et ça me parlait pas. Moi, j’avais comme référence la vache folle (avant la Covid), toutes les catastrophes qu’on a créées l’air de rien… Voir que cette histoire était très réelle, très concrète, c’est ce qui m’intéressait. Je ne me suis jamais dit que ça allait être un moyen de faire de belles images, davantage que de raconter une histoire vraie : il fallait qu’on y croie. Je ne pouvais pas arriver à la fin en rentrant dans des représentations délirantes. Il fallait comprendre exactement les enjeux, les engrenages et se dire que tout cela était malheureusement naturel, pas lié à une sauterelle qui venait de la lune. Que c’était lié à l’Homme et que ses principales victimes, c’étaient ses enfants.

Si je fais un James Bond, y a peut-être moyen de le zigouiller

Plus que des situations, vous mettez en scène des instincts et des personnages (ou des animaux) mus par des instincts. En cela, il s’agit presque d’un film éthologique…
Ce qui m’intéressait, c’était de voir la mère toujours réagir dans l’instant. Elle est toujours un peu en retard, elle manque de recul pour anticiper les décisions, dans une forme de réaction permanente… Elle essaie de trouver un vendeur, ça marche pas, alors elle se met en colère, puis s’aperçoit en se blessant que les sauterelles aiment le sang… Une fois qu’on a mis le pied dans l’engrenage, il y a deux instincts : pouvoir alimenter cet engrenage le mieux possible et se sauver quand on peut. Ils sont similaires et contradictoires. Lorsqu’elle a l’instinct de se sauver, elle quitte cette figure de monstre capable d’alimenter un engrenage pour redevenir la mère. Finalement, elle s’est presque enfermée elle-même dans cette impasse…

C’était aussi une façon de parler de nous et de la nature aujourd’hui : à la différence du cinéma des années 1990 où l’on en réchappait en disant « on l’a échappée belle » en étant encore unis, j’ai l’impression que la violence aujourd’hui, c’est : « un va devoir se sacrifier — qui ? — pour qu’on puisse changer les choses ». C’est pas pour rigoler ! La nature reprend ses droits, y compris sur le récit : on accepte que les personnages puissent aussi être en danger. On n’est plus confortablement installés devant James Bond en se disant qu’il ne va rien lui arriver, qu’il sera vivant jusqu’au bout — au pire, il perdra peut-être la femme de ses rêves. J’aime bien me dire que si je fais un James Bond, y a peut-être moyen de le zigouiller (rires), d’essayer de voir comment on renverse les codes, et on amène une nouvelle terreur… On fait des films pour emmener les spectateurs sur des univers plus glissants, plus fragiles, avec des personnages qui ne sont pas forcément ceux qu’on va suivre jusqu’au bout.

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