Art contemporain / On a rarement vu autant de "trucs bizarres" joncher le sol de l'Institut d'Art Contemporain : des boitiers électroniques, des pierres petites ou énormes, des récipients d'eau, des tubes, des câbles, des ossements... Et tout ça, sous la férule de Tarek Atoui, fait de la musique et constitue un vaste et formidable paysage sonore !
Un murmure, une rumeur du monde traverse nos oreilles en pénétrant dans la première salle de l'exposition de Tarek Atoui. Les tonalités sont plutôt graves, et l'on perçoit déjà, plus loin, d'autres sons qui résonnent entre eux, des variations parfois, des dialogues sonores, des errances ondulatoires... L'artiste, avec The Drift (titre de l'exposition qui signifie la dérive en français), invite à l'errance, à une libre déambulation parmi un véritable paysage sonore, pensé comme une sorte de concert permanent. Une errance qui se dialectise en deux temps : un mouvement d'ensemble, et de micro événements sonores que l'on découvre et écoute en s'approchant très près d'un objet ou en se coiffant d'un casque...
Ce voyage sonore étonnant se double d'un voyage visuel tout aussi surprenant, découvrant de salle en salle, les objets et les instruments des plus "bizarres" composés de tubes, de tuyaux, de cymbales, d'éléments électroniques, d'ordinateurs, mais aussi... de pierres (petites ou très grandes), d'eau, de cornes d'animaux, de bols de bronze... !
Deep Listening
L'ingénierie et l'artisanal, l'outil technique et l'élément naturel, le bricolage et la prouesse technique viennent ici, tous ensemble, entonner leur "chant du monde", leur "rumeur des choses", faits de frottements, de chutes, d'écoulements, de souffles, de vibrations, d'oscillations... Magie d'objets bizarres mis en réseau et en résonnance ! « Concrètement, nous indique l'artiste, cette exposition a été pensée comme la réunion de beaucoup des œuvres que j'avais créées pour d'autres expositions. Le défi était ici de s'adapter à l'espace propre à l'IAC et de mettre toutes ces nombreuses pièces en dialogue entre elles, avec deux approches possibles pour le visiteur : une écoute "macro" et une écoute "micro". »
Tarek Atoui se réclame aussi du Deep listening de la compositrice américaine (de musique minimaliste et de musique électronique) Pauline Oliveros (1932-2016) visant à une pratique d'écoute avec une conscience accrue de la musique et des sons. Compositeur électroacoustique et performeur musical, Tarek Atoui nous dit avoir trouvé dans le musée un espace permettant de « s'installer dans la durée, de proposer des formats et dispositifs sonores nouveaux. C'est à partir de ma participation à la Documenta en 2012 que l'instrument (sous toutes ses formes possibles) a pris une place centrale et nouvelle dans mon travail. »
À travers cette formidable exposition, nous sommes heureux aussi de renouer avec les meilleurs moments de la Biennale Musique en scène qui, avec le Musée d'Art Contemporain de Lyon, a pu proposer de mémorables "expositions musicales", entremêlant arts plastiques et création sonore, avec des artistes comme La Monte Young, Granular Synthesis, Dumb Type, Laurie Anderson...
Tarek Atoui, The Drift
À l'Institut d'Art Contemporain à Villeurbanne jusqu'au 28 janvier 2024
Bio express
1980 : Naissance à Beyrouth au Liban. L'artiste vit et travaille aujourd'hui à Paris
1998 : Premières compositions électroacoustiques et performances musicales. Peu à peu l'instrument de musique prendra une place centrale dans son travail, l'artiste fabricant des instruments (avec ou sans l'aide de luthiers)
2012 : Participation à la Documenta 13 de Kassel en Allemagne, moment pivot de son travail où les instruments prennent une place centrale et des aspects plastiques
2019 : Participation à la 58e Biennale d'Art Contemporain de Venise
2022 : Expositions personnelles au Luxembourg, à Porto, à Austin au Texas
2023 : Grande exposition monographique à l'Institut d'Art Contemporain à Villeurbanne