Photographie / Photographe humaniste et espiègle, Elliott Erwitt s'expose en grand format à La Sucrière à travers plus de deux cents images. Une rétrospective aussi légère que bien ficelée.
Que ce soit pour une pub, un reportage, un travail personnel, Elliott Erwitt est un formidable preneur d'image. Un génie visuel qui sait, comme peu d'autres, capter le moment opportun (un certain regard entre Kroutchev et Nixon en 1959), mettre en scène des instants décalés (avec des chiens notamment), capter la part d'humanité de ses sujets (dans ses photos d'enfants tout particulièrement), tirer le portrait aux anonymes comme aux célébrités (de Marylin Monroe à Obama, en passant par Warhol...).... Bref, c'est un photographe virtuose et souvent drôle, un héritier de la lignée de la photographie humaniste (celle de Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis...). Et dont le travail est bien résumé par Erwitt lui-même : « En réalité, dire qu'il y a de l'humanité dans mes photos est le plus beau compliment qu'on m'ait jamais adressé. Si mes photos permettent aux gens de voir le monde d'une certaine façon, c'est certainement d'y voir les choses sérieuses de manière non sérieuse. »
Erwitt est un visuel, dont les qualités les plus patentes sont l'humour, le sens du cocasse (l'aura métallique d'une statue de saint voisinant avec des antennes de télévision), le clin d'œil, parfois un brin provocateur : un grand Christ posé aux côtés d'un panneau publicitaire pour Pepsi...
Sans arrêt sur image
Mais photographe du clin d'œil ou de l'instant décisif, Erwitt malheureusement, ne va guère au-delà... Il séduit, fait rire, étonne, mais nous passons vite de photo en photo sans jamais "être arrêté" : arrêté par une profondeur plastique, arrêté par une étrangeté véritable, par un style ou par une vision singulière du monde. C'est de la belle image et de la belle ouvrage, mais pour l'émotion ou la densité artistiques, on repassera !
C'est du reste parfois l'écueil de la photographie : rester en surface, faire de l'image pour l'image, nous en mettre plein les yeux pour faire flop l'instant d'après... Ceci étant dit, ne soyons point trop chagrin ni hargneux envers Elliott Erwitt qui, à La Sucrière, nous offre quand même un agréable moment à travers les quelque 200 images qui y sont rassemblées, rythmées en huit chapitres thématiques : la plage, les enfants, l'abstraction, les villes, les chiens... Le tout dans une scénographie classique et soignée.
Passion simple
L'homme, qui a aujourd'hui 95 ans et vit à New York, est né à Paris en 1926 de parents émigrés russes, a grandi à Milan et émigré à son tour aux États-Unis à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. À 25 ans il travaille déjà pour de prestigieux magazines américains (Life, Look, Holiday...), voyage beaucoup, rejoint l'Agence Magnum en 1954. On lui attribue rien moins que 600 000 négatifs photo, une quarantaine de livres, une vingtaine de films (documentaires, comédies...) réalisés pour le cinéma ou la télévision.
À la Sucrière, l'exposition, qui a été conçue en étroite collaboration avec le photographe, réunit à la fois ses images en noir et blanc et ses travaux en couleur, ces derniers étant souvent le fruit de commandes. « Je ne mets pas de couleur dans mon travail personnel, écrit Erwitt. La couleur, c'est du domaine professionnel. Ma vie est déjà assez compliquée comme ça. Je m'en tiens au noir et blanc. Cela suffit. »
Une simplicité qui demeure l'une des grandes qualités de son œuvre. Sa limite aussi.
Elliott Erwitt, rétrospective
À La Sucrière jusqu'au 17 mars 2024
Bio
1928 : Naissance à Paris. Aujourd'hui, Elliott Erwitt vit à New York
1948 : Étudie la photographie et le cinéma au Los Angeles City College, puis fréquente la New School for Social Research à New York
1954 : Intègre l'Agence Magnum photo après avoir rencontré Robert Capa. Il travaille pour les plus grands magazines illustrés américains : Life, Collier's, Look, Holiday...
Années 1970 : Entame une carrière de réalisateur de films documentaires
2023 : Rétrospectives au Musée Maillol à Paris, puis à La Sucrière à Lyon