How to have sex

Drame / Sacré à Cannes dans la section Un certain regard, ce puissant premier film de l’Anglaise Molly Manning Walker fait corps avec trois adolescentes pendant leurs vacances crétoises, avant de se disloquer, accompagnant le drame et la blessure intime de l’une d’entre elles.

Voici trois adolescentes anglaises de leur temps, lancées comme des bombes le temps d’un week-end estival dans l’effervescence d’une ville de Crête pleine de fêtards avinés. Elles crient, elles boivent, elles mangent des frites-fromage, elles vomissent, elles se chambrent, elles draguent les mecs de la piaule d’en face, le tout dans une explosion de couleurs fluos et d’électro tantôt assourdissante, tantôt assourdie.

Pendant les trente premières minutes de How to have sex, c’est peu dire que Molly Manning Walker, chef opératrice remarquée avec un court-métrage, Good Thanks, You, qui préparait le terrain de ce premier long, cherche à prendre de vitesse le spectateur. Les séquences s’enchaînent comme un maelström d’énergie, d’affects et de perceptions, attrapant au vol cette jeunesse en pleine montée d’hormones et d’adrénaline, seule au monde — où sont les autochtones ? — à l’abri du jugement des autres et du nôtre au passage. Dans ce grand sprint sans ligne d’arrivée, on a juste le temps de démêler les unes des autres : Skye, la plus affranchie (Lara Peake) ; Em, métis et lesbienne (Enva Lewis) ; et surtout Tara, dite « Taz », qui planque cette virginité qu’elle espère perdre au cours de ses vacances et oublier ainsi son échec scolaire annoncé (Mia McKenna Bruce, dont on n’est pas près d’oublier les incessantes ruptures dans le regard, comme une intériorité en quinconce, zébrées d’éclairs et d’émotions contraires).

Âge tendre et gueule de bois

Pour Manning Walker, il s’agit ensuite de disloquer son film dans tous les sens : son trio d’abord, jusqu’à isoler Taz, plus confuse que les autres face à ce carnaval libidineux et vulgaire dont elle ne sait plus si elle doit l’embrasser ou le fuir. Puis disloquer la narration, avec un trou noir béant qui s’ouvre dans sa deuxième partie et laisse entrer toutes les incertitudes. Procédé presque hitchcockien que la mise en scène appuie en stoppant net sa course en avant, comme si la caméra elle-même avait la gueule de bois, réduite à zoomer imperceptiblement dans les plans sans trop savoir ce qu’elle veut y trouver. Le temps lui-même se disloque, avec des flash-backs lacunaires vers lesquels le film retourne jusqu’à en faire des obsessions. Même lorsque tout semble rentrer dans l’ordre, la dislocation continue, mais elle se fait morale : telle un Ruben Östlund, moins son goût de la provoc’, Manning Walker nous place au cœur d’une zone (de moins en moins) grise, aussi sidérés et désorientés que Taz elle-même, vacillante entre révolte et repli, mutisme et résilience. Manning Walker ne croit pas à la psychologie et préfère capter des humeurs à l’écran, quitte à les faire s’entrechoquer comme dans les stupéfiantes dernières secondes du film, ou à en trouver des équivalences visuelles, par exemple cet enchevêtrement de miroirs reflétant le portrait brisé de Taz.

Plus que l’événement traumatique, sur lequel on ne s’arrête pas vraiment, How to have sex capte l’hébétude qu’il provoque après coup, la colère contre soi et contre ceux qui ne veulent pas le voir, comme du gros sel jeté sur une plaie fraîchement ouverte. Ce premier film compact et percutant s’inscrit en tout cas dans une lame de fond venue d’Angleterre, où de jeunes réalisatrices prennent spectaculairement le pouvoir : après Charlotte Wells (Aftersun), Georgia Oakley (Blue Jean), Charlotte Colbert (She Will) et en attendant Scrapper de Charlotte Regan le mois prochain, Molly Manning Walker vient prolonger le geste de deux pionnières, Joanna Hogg et Andrea Arnold pour brillamment réinventer au féminin leur cinéma national.

How to have sex
De Molly Manning Walker (Ang, 1h30) avec Mia McKenna Bruce, Shaun Thomas, Lara Peake…
Sortie le 15 novembre

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