Tiers-lieux / Depuis le "boum" des tiers-lieux il y a quelques années, ce modèle ne cesse de faire parler de lui. À Lyon comme ailleurs, des organisations ont repensé leurs modes de gouvernance, sans pour autant changer structurellement leurs objectifs et modes de fonctionnement. Face à cela, les tiers-lieux historiques du territoire peinent à rendre audible les exigences et difficultés qui sont propres à leur modèle.
Comment définir les tiers-lieux ?
Chaque tiers-lieu est différent, il est donc difficile de donner un exemple concret et que l'on peut attendre de ce type de structure. Les tiers-lieux doivent produire de la valeur non marchande dans les domaines de la solidarité, de l'éducation ou de l'innovation, mais aussi reposer sur une gouvernance collective et favoriser les échanges sur le territoire où ils sont implantés. Ce n'est pas une mince affaire, et c'est la raison pour laquelle ces derniers sont souvent dépendants des aides de l'État. Des aides publiques qui seraient en baisse constante depuis 2018 d'après un article de Libération.
D'après une étude de l'Agence nationale de la cohésion des territoires datée de mai 2023, en France, 75 % des tiers-lieux recensés sont des espaces dans lesquels l'on pratique le coworking. À Lyon, c'est le cas d'un des plus vieux tiers-lieux du territoire, Locaux Motiv', né d'un collectif de riverains de la Guillotière en 2011. Locaux Motiv' a résisté au temps, et a fait ses débuts aux côtés de plusieurs coopératives du territoire comme le bar le Court-Circuit, avant d'accompagner plusieurs structures qui se sont à leur tour montées en coopératives.
Le coworking n'emploie qu'un temps-partiel pour l'administratif, les tâches quotidiennes sont effectuées par les adhérents du tiers-lieu. « C'est beaucoup de travail, mises bout-à-bout, elles représentent plus d'un équivalent temps plein annuel », raconte Bertrand Paris-Romaskevich, adhérent au tiers-lieu. La gouvernance est horizontale : « On veut être une école de la coopération, de l'autogestion, à tous les niveaux ». Une philosophie qui s'exprime aussi au travers des ateliers organisés par Locaux Motiv', certains ouverts au public.
Les tiers-lieu et leur "précarité structurelle"
En dépit de cette implication quotidienne des adhérents de Locaux Motiv', la structure est déficitaire chaque année, "surtout depuis le Covid", précise Bertrand Paris-Romaskevich. Le coworking ne réalise pas de marge sur les abonnements des adhérents, pour coller à l'exigence d'accessibilité maximum qu'ils se sont fixés. « On a eu des travaux à faire, puis il y a eu la hausse des coûts, notre loyer a augmenté. Ce sont des petites choses qui, à chaque fois, nous mettent en difficulté ».
Ponctuellement aidés par l'État ou l'Union Européenne, Bertrand Paris-Romaskevich évoque la fragilité structurelle des tiers-lieux, qui seraient déjà peu nombreux sur le territoire. Pourtant, de nombreuses entreprises se déclarent être des tiers-lieux, ou évoquent un "esprit tiers-lieu" qui inspirerait leur gouvernance.
Jean-Paul Robert, trésorier de la FOL (Fabrique des Objets Libres) dénonce une appropriation du terme : « Il y a des structures qui se revendiquent tiers-lieu, alors que j'ai parfois plus l'impression que ce sont des personnes qui mangent ensemble une fois par mois, qui font un secret santa, et c'est tout ».
L'accessibilité comme maître-mot
La FOL est un des plus vieux Fablab de France. Un lieu qui permet à tous de réparer ses objets en étant accompagné, ou de créer une machine de toute pièce pour un tarif allant de 3 à 5 euros l'après-midi. « On a une imprimante 3D à dépôt de fil chaud, une découpe laser, une découpe vinyle, un petit scanner 3d, un atelier avec des outils à main et une paillasse électronique », liste Jean-Paul Robert. Des machines coûteuses qui sont financées par les actions effectuées bénévolement par les adhérents de la FOL. Il s'agit souvent de journées d'animations commandées par des mairies, des centres sociaux ou des entreprises privées.
Un fonctionnement qui, à l'instar de Locaux Motiv', demande beaucoup d'engagement à ses adhérents, et n'assure pas une grande stabilité économique à la structure. La FOL n'a pas les moyens de payer un loyer, et est toujours hébergée gracieusement. "On s'est retrouvés trois fois sans local au cours des dix dernières années. Là, ça faisait deux ans qu'on était hébergés à droite à gauche", raconte Jean-Paul Robert.
Bonne nouvelle pour la FOL cependant : celle-ci vient de poser ses machines au CCO de Villeurbanne. La FOL partagera les locaux avec un autre Fablab, AsTech, et se réjouit d'ores et déjà de leur collaboration future : "Nous avons des différences, mais nous partageons les mêmes valeurs, notamment en termes d'accessibilité. Il y a des lieux qui se disent Fablab à Lyon et qui demandent de payer 200 euros d'abonnement par mois pour utiliser leurs machines. Ce n'est vraiment pas l'esprit Fablab ou tiers-lieu."
Un modèle "non réplicable"
Être accessible n'est pas le seul critère pour entrer dans la case "tiers-lieu". Brieuc Oger est fondateur de Focus, une entreprise qui gère des espaces de coworking depuis 2017 à Lyon et Marseille. "On propose des tarifs plus accessibles que le prix du marché, qui nous permettent de louer à des TPE, PME, start-up et filiales régionales", explique-t-il. Focus a récemment racheté un coworking situé à Confluence : l'Orangerie, qui était jusque-là gérée par Act4Talents. Contrairement à ses prédécesseurs, Brieuc Oger ne revendique pas que son espace est un tiers-lieu : "C'est difficile de répondre aux exigences d'un tiers-lieu. Nous, on ne va pas assez loin dans l'animation, l'organisation collective. Notre métier, c'est de dupliquer un modèle clef-en-main pour nos clients."
Brieuc Oger s'est déjà penché sur le modèle, et évoque d'ailleurs la difficulté de répliquer un tiers-lieu : "Chaque implantation dépend d'un tissu économique, des problématiques locales, des besoins et volontés des usagers... ", et conclut sur la difficulté de salarier dans ce genre de modèle, sans aides régulières et significatives de l'État.