Entretien / Ancien capitaine de la police judiciaire de Seine-saint-Denis et aujourd'hui auteur à succès de romans policiers, Olivier Norek sera au (brillant) casting de cette 20ᵉ édition du festival Quais du polar à Lyon. Le Petit Bulletin en a profité pour retracer son parcours.
Vous avez raccroché l'uniforme de policier depuis 17 ans déjà. Ce passé est évoqué à chaque entretien que vous acceptez. Avez-vous le sentiment que c'est toujours quelque chose qui inspire vos ouvrages, que cela marque votre écriture ?
Olivier Norek : Bien sûr ! La police m'a nourri émotionnellement, c'est un des plus beaux métiers du monde. D'ailleurs, je suis encore amoureux de ce métier et de ceux qui le font bien. J'ai puisé l'inspiration pour mes premiers romans dans ma carrière.
Dans la Trilogie 93 (publiés entre 2013 et 2016), on sent non seulement le besoin de mettre en lumière les invisibles, mais aussi de dénoncer les forces qui les écrasent. On peut penser au projet immobilier du Grand Paris par exemple, qui est loin d'être fictionnel. Cela engage votre littérature.
Toutes les histoires de police ont déjà été écrites, le roman policier populaire représente déjà quelque chose d'un peu séculaire, avec un flic et un assassin. On peut faire mieux avec le temps des gens, on peut garder le côté ''tourne-page'', en impliquant un sujet méta, qui élève et englobe l'enquête policière autour d'un combat, d'une réalité.
Une réalité qui n'est jamais un prétexte narratif. Les environnements de vos ouvrages sont vivants.
Je considère que le lieu où prend place une intrigue est lui-même un personnage avec sa complexité. Ce n'est jamais un hasard. Par exemple, dans la Trilogie 93, il y a des cadavres dans tous les sens. Cela raconte un quotidien brutal, mais aussi un département énergique, évolutif, qui fourmille.
En revanche, lorsque j'écris une intrigue se déroulant à Saint-Pierre-et-Miquelon [Dans les brumes de Capelans, publié en 2020 ndlr], tout est plus lent, intimiste. Je me concentre sur le caractère des personnages, avec moins de morts et d'action.
Publié en 2017, Entre deux mondes, est une fiction qui se veut au plus près de la réalité, que vous avez installée dans l'un des environnements les plus révoltants de France : la jungle de Calais.
Je ne suis pas né avec la nationalité française. J'ai ressenti le besoin d'aller vivre là-bas pendant plusieurs mois, pour raconter ce qu'il se passe dans le camp, mais aussi à Calais.
Le camp était un endroit où l'on pouvait tuer sans conséquence. On a fait vivre tous ces gens dans des conditions infâmes, entre une déchetterie et une forêt. J'ai voulu parler des héros et des salauds de la jungle de Calais. Ceux du commissariat, du camp et de la ville, je voulais apporter un autre récit que celui simpliste et binaire qu'on nous a ressorti à toutes les sauces.
Par exemple au commissariat de Calais, toutes les mutations demandées par les forces de l'ordre ont été bloquées. Un tiers des policiers sont en dépression, ils n'ont pas envie de faire le travail qu'on leur demande. J'ai écrit mon roman en laissant planer une question absolument nécessaire : Si j'avais été dans leur situation, qu'aurais-je fait ?
Publié en 2020, Impact raconte une histoire aux airs de David et Goliath, avec, à la place de Goliath, une multinationale responsable d'un écocide. Cet ouvrage a pu faire polémique car le personnage principal s'attaque violemment à l'entreprise, sans qu'il n'y ait de condamnation morale de cette violence. Avez-vous compris cette critique ?
D'après moi, la violence ne vient pas des écologistes — y compris les écologistes les plus radicaux. Pour le projet Tanzanie de Total Énergies par exemple, il faut raser 420 villages, provoquant des guerres de territoire, des exodes. C'est ça la violence. La violence c'est la COP à Dubaï ou les polluants éternels qui favorisent les cancers.
Pourtant on n'emploie pas ce mot pour en parler. Par contre, on parle de violence dès qu'il y a des gamins qui jettent de la peinture sur des vitres. Ce sont ces mêmes mômes qui ont perdu dix ans d'espérance de vie à cause de la pollution.
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On débat avec les mots, et on se bat avec les poings quand les mots ne sont plus écoutés. Quand j'écris un livre comme Impact, je ne suis pas en train de créer un monstre en disant qu'il arrive, c'est plutôt pour éviter qu'il arrive que j'en parle.
Votre ouvrage, Dans les brumes de Capelans (2022), rappelle le capitaine Coste, personnage principal de la Trilogie 93.
C'était le bon moment pour lui de revenir. Le capitaine Coste a changé. Pendant six ans, il s'était comme caché, reclus. J'ai eu l'impression de revoir un vieil ami, je ne savais pas ce qu'on allait pouvoir se dire, et puis ça s'est fait naturellement, comme si on ne s'était jamais quittés.
Avec lui, j'ai exploré une matière tout à fait différente de celles de la Trilogie 93. Cette histoire, c'est l'histoire de la seconde chance de Victor Coste, et d'Anna, la seconde protagoniste. Comment réapprendre à aimer, ce qui représente une de mes névroses principales. Une fois de plus, c'est une histoire terrible, mais aussi une ode à la résistance. La vie est une succession de petits événements merdiques, et de temps en temps il y a une lumière, celle pour laquelle on se bat tous.
Vous abordez de nombreuses thématiques, reprenant les codes de nombreux genres, sans jamais quitter la case "polar".
Le polar permet tout, mélange les classes sociales, les quartiers. On meurt aussi bien milliardaire que pauvre. C'est sans doute pour cela que la communauté du polar est aussi intéressante. Cela fait quatre fois que je reviens à Quai du polar, à ce festival de Cannes du roman policier, auquel je suis très attaché. Tous les baobabs du roman noir s'y donnent rendez-vous. Pas parce qu'il faut y aller, mais parce qu'on veut y aller, pour continuer à faire circuler les idées, à connecter notre genre au réel.
Olivier Norek est l'auteur de Surtensions (prix Point du polar européen et Grand prix des lectrices Elle), Entre deux mondes (prix Étoile du Parisien et prix Les petits mots des libraires), Surface (prix Maison de la presse, prix Relay, prix Babelio, prix de l'embouchure) et Dans les brumes de Capelans, (prix Babelio). Il publie ses ouvrages aux éditions Michel Lafon et sera présent pour des dédicaces à Quais du polar, au Palais de la bourse, du 5 au 7 avril prochain.