La Belle est la bête / Revenge movie féminin et féministe doublé d'un néo-noir lesbien, Love Lies Bleeding assume son héritage et la réappropriation queer de celui-ci. Confirmation éclatante d'une autrice qui réussit son passage aux Etats-Unis avec cette proposition aussi stimulante que passionnante, dopée par l'investissement non négligeable de ses comédiennes, Kristen Stewart et la révélation Katy O'Brian.
Après son très réussi Saint Maud, Rose glass remonte le temps jusqu'en 1989, et pose sa caméra de l'autre côté de l'Atlantique, dans un club de gym du Nevada, géré par Lou (Kristen Stewart), jeune femme solitaire au sein d'un milieu à forte dominance masculine.
L'arrivée en ville de Jackie (Katy O'Brian), bientôt embauchée dans le stand de tir tenu par Lou Sr. (Ed Harris), avec qui sa fille a coupé les ponts, va bouleverser le quotidien de l'héroïne et réveiller les fantômes d'un passé sombre et violent.
Mémoires de nos pères
Pas une once de nostalgie dans le dessein de la réalisatrice, qui place son intrigue au cœur d'une période identifiable tant politiquement (la fin de l'ère Reaganienne) que culturellement (le culte de la virilité exacerbée de Rambo 2 à Road House).
Elle entend bien revisiter celle-ci pour en interroger les stéréotypes et les fondements, afin d'effectuer une contre proposition de premier ordre. Prototype rêvé, auscultant tout un pan de l'histoire du cinéma et de l'Amérique, Love Lies Bleeding ne prétend pas « annuler » un référentiel résolument masculin (exceptions faîtes de Thelma et Louise et Showgirls, ouvertement invoqués) mais le réinventer à l'aune d'un XXIème siècle placé sous l'angle de la déconstruction.
Cette démarche réflexive et engagée, se greffe sans mal à un désir viscéral de proposer un pur film d'exploitation, excitant sur le fond et sur la forme.
L'amour et la violence
Le tour de force se double d'une approche onirique payante où le ressenti des personnages se retrouve matérialisé à l'écran dans une logique expressionniste et sensorielle. Du concret (l'attraction irrésistible, la tension érotique entre Lou et Jackie), à l'abstrait (le canyon, lieu pivot de l'intrigue, transformé en un abysse rougeoyant où chacun se débarrasse de ses péchés), Rose Glass façonne une imagerie singulière.
Au genre codifié s'adjoint une esthétique léchée dont les échos palpables à ses références (il est permis de penser à David Lynch et Nicolas Winding Refn) s'accompagnent d'une envie d'émancipation et d'affirmation. Comme dans Saint Maud, le fantastique a quelque chose de salvateur, il transcende le réel et les individus. Si certaines envolées poétiques peuvent cliver, elles donnent lieu à des visions indélébiles (le final hallucinant), où le pouvoir de l'image devient l'horizon absolu.
Un geste radical qui parachève un polar sensuel, incarné et brutal, d'une jeune cinéaste surdouée épaulée par deux actrices électrisantes, questionnant chacune la notion de féminité tout en ravivant un héritage défini, entre autres, par une certaine masculinité dite toxique.
Love lies bleeding
De Rose Glass (Grande-Bretagne/USA, 1h44) avec Kristen Stewart, Katy O'Brian, Anna Baryshnikov, Jena Malone...
En salles le 12 juin 2024