Contre-sens : le théâtre face aux guerres

Mothers, a song for wartime

TNP - Théâtre National Populaire

24 octobre et 25 octobre à 20h

Festival / Du 12 au 26 octobre se déroule, dans divers théâtres de Lyon, la manifestation Contre-sens, version allégée de Sens interdits. Des artistes rwandais, lituaniens, polonais, ukrainiens... seront présents. Immanquable.  

Patrick Penot l'a rajouté comme ça, une fois que la programmation était bouclée et en dépit des fragilités financières de l'événement (pléonasme). Il a poussé les murs une fois de plus pour Mimoun et Zatopek, qui ouvrira à l'ENSATT la 2e salve de Contre-sens. Le spectacle sera un temps fort reliant Contre-sens aux éditions du festival biennal Sens interdits dédié au théâtre de l'urgence, venant de pays en proie à de grandes difficultés. Ce spectacle que nous n'avons pas vu, est un solo d'Ali Esmili dirigé par Vincent Farasse, auteur également, qui mêle l'histoire de deux champions de marathon en pleine guerre froide à celle de l'ouvrier narrateur.

Ce sont des récits de luttes, l'essence même du propos de cette manifestation unique qui propose des spectacles mais aussi des rencontres. Notamment avec le metteur en scène Jacques Decuvellerie. On note que la rencontre avec la romancière et essayiste libanaise Dominique Eddé a été annulée en raison de la situation politique. C'est l'historien Elias Sanbar qui la remplace.

Une journée d'étude et d'ateliers est organisée à l'ENSATT autour de la Résistance (le 12 octobre), une collection sera ajoutée aux éditions L'Espace d'un instant « parce qu'il n'y a pas de théâtre s'il n'y a pas de textes » selon Patrick Penot et même une exposition, celle de l'affichiste lituanien Stasys Eidrigevicius sera exposée à la BF15 en novembre.

Au total, on comptera 8 spectacles qui représentent 11 pays (certains, comme Mothers réunissent trois nationalités). Nombreuses sont les fidélités du festival à des artistes comme avec l'Argentine Lola Arias qui revient après le très intéressant El año que naci sur l'héritage de Pinochet. Los dias afuera (au théâtre de la Croix-Rousse, du 17 au 19 octobre) est nettement moins convaincant, survitaminé et trop littéral sur le sujet des femmes tout juste sorties de prison. Cependant le festival est très prometteur. Voici une mini-sélection de ce qui se profile de plus intriguant :

Mothers – A Song for Wartime

C'est un cri. Et c'est aussi un marqueur de Sens interdits et sa déclinaison Contre-sens tant la metteuse en scène Marta Gornicka est venue dans cette manifestation depuis 2011. Elle est même passée (avec son travail filmé cette fois-ci) à la Biennale d'art contemporain de Lyon 2022. Sur scène, elle organise des chœurs de femmes. Leurs voix unies donnent une force quasi physique à leur propos. Celui de Mothers réunit 21 Ukrainiennes, Biélorusses et Polonaises, survivantes et témoins des guerres européennes actuelles, ces « drames qui ne sont plus likés » et qui nous renvoient frontalement à notre impuissance et/ou nos lâchetés. « C'est vous à tout moment qui décidez si vous serez des assassins ou ceux qui sauvent » nous disent-elles droit dans les yeux.

Les 24 et 25 octobre à 20h au TNP ; de 9€ à 25€

Génération 25

Le Rwanda est sans cesse au cœur de cette manifestation et c'est toujours une chance inouïe. Cette année c'est une génération postérieure à celle de Carole Karemera (2019) qui se présente, celle qui n'a pas connu le génocide des Tutsis par les Hutus en 1994. À ces huit artistes, enfants de rescapés ou orphelins, avec le texte de Hope Azeda mis en scène par Yannick Kamanzi, de se coltiner une réconciliation aussi difficile que nécessaire pour faire vivre ce petit pays (la taille de la Bretagne) dont la moyenne d'âge est de 19 ans. Partout, « il y a de petits Nuremberg » résume Patrick Penot. Des procès pour ensuite tenter de (se) reconstruire. En images, danse, musique, cette jeunesse s'empare du plateau. Les premières dates en France de Génération 25 ont lieu dans ce festival.

Les 18 (à 20h) et 19 octobre (à 17h) au théâtre de la Renaissance ; de 5€ à 27€

Par grands vents

Sens interdits ne sont pas que des cris et des témoignages. Loin de là. Ce sont d'abord des artistes qui prennent des chemins de traverse pour interroger le monde et son absurdité permanente. Benoit Piret et Elena Dorattioto viennent de Belgique, à l'abri des conflits armés, et pourtant ils inventaient déjà une utopie à la gloire des vaincus dans Des caravelles et des batailles accueilli en 2019. Dans cette nouvelle création écrite au plateau, il y a la ruine d'un ancien palais et un lieu de pouvoir disparu. Des personnages un peu branques commencent par ramener de l'eau. C'est le début de quelque chose, de (presque) tous les possibles puisque, de l'Antiquité à aujourd'hui, le monde est en proie à des rapports de forces. Le duo d'auteurs - metteurs en scène formé dans l'un des meilleurs conservatoires d'Europe, celui de Liège, s'apprête à inventer un ailleurs. Le spectacle n'a été joué qu'en Belgique jusque-là, créé à Bruxelles en juin.

Les 18 (à 20h) et 19 octobre (à 17h) au théâtre de la Renaissance ; de 5€ à 27€


Départ de Patrick Penot

« On n'a pas l'impression qu'on change le monde avec ça [le festival Sens interdits] mais on a la certitude qu'on prend en compte les changements du monde » disait Patrick Penot au printemps dernier lors de la présentation de Contre-sens. Le directeur (bénévole) et fondateur (en 2009) de cette manifestation théâtrale majeure peut regarder avec fierté dans le rétroviseur. Il a permis à la Russe Tatiana Frolova, les Chiliens Paula González Seguel et Roberto Farias, les enfants de Battambang et tant d'autres de venir sur les scènes de la métropole et de proposer des récits mais aussi des esthétiques si différentes de celles qui nous sont — trop — communes. Bien malgré lui, et en dépit des combats inlassables menés avec les tutelles, Sens interdits est toujours fragile économiquement, notamment du fait de l'attribution de subventions aléatoires de la part de la Région. Une direction intérimaire se profile pour perpétuer ce petit miracle de festival et pour que des voix autres que les nôtres nous parviennent encore et nous évitent de nous assourdir dans une chambre d'écho stérile. Hasta siempre Sens interdits !

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