Théâtre / En s'interrogeant sur les vacances et la vacance, la sommation à « profiter » d'une pause dans un monde effréné, Jeanne Garraud signe, avec son quatuor d'interprètes fidèles, un spectacle absurde et profond, casse-gueule et rigoureux, drôle ; presque belge.
On a cru retrouver les tg STAN. Une troupe flamande qui nous a toujours menés sur les rebords du théâtre, brouillant les repères, explorant les marges, dans un vrai/faux restaurant par exemple. C'était My Dinner with André.
Ici, avec la Compagnie Neuve dirigée par Jeanne Garraud, « l'idée est que nous nous sentions en vacances » nous annonce l'un des protagonistes. Après tout le théâtre c'est exactement ça : inventer des mondes et signer avec les spectateurs ce pacte d'illusions. Nous acceptons de croire ce que l'on nous raconte, d'imaginer des décors même lorsque comme ici, il n'y en a pas.
D'autres Belges, une jeune génération (Éléna Dorattioto et Benoît Piret) y parvenait, même si ce n'était pas complétement abouti. C'était il y a quelques jours déjà aux Célestins, dans Par grands vents.
Face à ce désir de vacances, chacun des membres du quatuor – les mêmes que ceux qui portaient haut la précédente création de Jeanne Garraud Marguerite, l'enchantement, nettement plus narrative – adoptent une position différente : simplement « profiter » d'une pause en faisant mille activités sans se soucier de la misère avoisinante pour le premier, ou en se connectant au sol, à l'univers, à la galaxie, les pieds « ancrés » dans la terre pour un deuxième, en s'unissant aux autres avec une joie imposée pour la troisième ; la quatrième renonc à tout diktat et donc, en l'occurrence ne veut pas jouer !
« Vous sentez la détente, là ? »
Car c'est ainsi que commencent ces 75 minutes : un long silence, comme une protestation voulue par le personnage joué par Savannah Rol. La comédienne fait toujours exploser les narrations dans lesquelles elle plonge (Marguerite, A.N.A. etc). À moins qu'elle n'inspire ce rôle à celles et ceux qui la dirigent.
Au creux de la colère de l'une ou de la méditation de l'autre, le rire émerge fréquemment dans ce travail ciselé, construit en constante ouverture et fermeture du 4e mur et véritable déclaration d'amour au théâtre pour la liberté que donne ce mode d'expression à Jeanne Garraud, précédemment chanteuse et pianiste, toujours photographe. Mais une liberté qu'elle borde soigneusement.
Fragmenté, Nos prochaines vacances ensemble aurait pu rapidement tourner à vide ; ce n'est pas le cas. L'écriture est solide et la vacuité (une définition des vacances ?) est trompeuse. Tous les quatre ont clairement élaboré leur place dans le monde et se positionnent face à la beauté d'une chute de neige, amorce d'une longue (et hypnotique) randonnée à ski de fond. Regarder, se taire, contempler, chronométrer mais aussi balayer vainement ces flocons qui se dispersent continuellement... Tout reste insaisissable et échappe y compris la notion de la durée du spectacle jusqu'à ce qu'elle soit comparée à la durée de vie d'un enfant écrasé dans un hôpital bombardé. En une fraction de seconde, le spectacle « tremble » alors que le quatuor affirme avoir échouer à le faire. Une énième virevolte de cette création d'acrobates.
Nos prochaines vacances ensemble
Du 7 au 17 novembre aux Célestins ; de 8€ à 26€
Mardi 17 décembre à La Mouche (Saint-Genis-Laval) ; de 12€ à 18€