Musiques actuelles / Jérôme Laupies et Eric Fillion sont les co-directeurs de Mediatone, association organisatrice de concerts et de festivals à Lyon depuis 1997. Leur navire amiral, le festival Reperkusound fêtera finalement ses 20 ans cette année, après quelques secousses imprévues.
Mediatone a 27 ans aujourd'hui et emploie 22 personnes. Comment décririez-vous l'expansion de l'association ?
Eric Fillion : Si on reprend depuis le début, Jérôme a fait des études de commerce, moi d'informatique, c'est la passion pour la musique qui nous a réunis en 1997. Ensuite, il a fallu qu'on se forme, qu'on évolue, sans précipiter les choses. On a grossi nos effectifs sur les dernières années, après avoir tourné pendant très longtemps avec 2 à 4 CDI. Aujourd'hui, c'est plus de 80 événements par an, parmi lesquels des festivals, des rencontres professionnelles...
Jérôme Laupies : C'est après le covid qu'on a ressenti le besoin de pérenniser des postes et de développer nos actions. On a longtemps fonctionné avec des emplois aidés, ce qui ne nous permettait pas de garder certaines personnes plus de 4 ou 5 ans avec nous.
EF : C'était une période où l'activité était très dense, avec une belle dynamique interne, des mutualisations avec d'autres structures. On a commencé à être impliqué dans plusieurs réseaux comme Grand Bureau, des syndicats, et on s'est sentis de s'investir dans les représentations, dans les discussions, notamment celles des États généraux des musiques actuelles.
JL : C'est aussi pendant le covid qu'on a touché nos premières ''vraies'' aides. Notamment du CNM. On s'est toujours autofinancé au moins à 90%. Ce qui ne nous a jamais empêché de développer le volet social, en organisant des concerts et des ateliers culturels en prison par exemple. Ce sont des choix que ne comprennent pas toujours certains producteurs, indépendants qui bossent avec nous. Ça et le fait que nous soyons restés en association.
Pourquoi être restés en association ?
EF : La vie associative est essentielle pour nous. Lancer de nouveaux projets comme le booking [activité de production et diffusion de tournées ndlr] ou les projets européens pour pérenniser l'équipe et avoir de nouvelles sources de financement est nécessaire mais on ne veut pas rentrer dans des modèles spéculatifs, on risquerait de perdre notre identité.
On s'enrichit moins, et cela représente parfois un frein pour les grosses compagnies, françaises comme internationales. On ne parle pas exactement le même langage, et il faut qu'on leur montre qu'on n'est pas des amateurs, qu'on peut très bien remplir une Halle Tony Garnier ou une LDLC sans problème.
Comment sont réparties vos activités ?
JL : Le Reperkusound représente 30% de notre activité, à tous niveaux, en termes de temps de travail, d'économie, de frais de fonctionnement... Ensuite, les concerts ainsi que les festivals pour lesquels nous sommes prestataires (comme les Authentiks, le Plane'R Fest, L'Acqueduc...) représentent 60% de notre travail. Le booking, les projets européens et l'action sociale et culturelle représentent 10%. On est un peu aidés par la Ville ainsi que la Région, et l'État intervient sur l'action sociale. On essaye de développer le financement privé mais ce n'est pas évident. Pour être honnête, à la fin de l'année, on finit souvent entre +50 000 euros et -50 000 euros, sur un budget de 3 millions.
Comment a évolué le Reperkusound depuis 20 ans ? Qu'est-ce qui a motivé le projet ?
JL : Pérenniser mon contrat ! [rires] C'est en partie vrai mais c'était aussi de faire un temps fort avec toutes les esthétiques qu'on valorise, rock, hip-hop, dub, punk... La sauce a pris dès notre première édition, à Villefranche. Après nous a organisé deux ans à Eurexpo. C'était compliqué financièrement et logistiquement. Puis, il y a eu l'année à la fois à la MJC d'Oullins, le Ninkasi et le Transbordeur. On est arrivés en 2009 au Double-mixte. Il y a eu une édition annulée et une édition en visio à cause du covid.
On s'est vite rendu compte que programmer du rock n'était pas très simple, parce qu'il fallait des lieux où l'acoustique est vraiment excellente. C'était plus simple de s'adresser au public electro. Ça ne nous a pas empêchés de programmer Shaka Ponk ou Naive new beaters, mais on a attendu d'avoir un Plane R'Fest pour vraiment s'amuser avec les esthétiques rock, punk et metal.
C'est vraiment à partir de la 5e édition que Sylvain Grasset – notre programmateur depuis toujours – a donné une place particulière à l'electro. On a valorisé la scénographie, l'univers, revendiquant un ADN plus global, qui est toujours celle du Reperkusound aujourd'hui.
L'édition de cette année est assez particulière, a-t-elle été menacée de ne pas voir le jour ?
JL : Franchement, on a eu peur. Le dernier Reperkusound s'était très bien passé, il y a eu une très bonne affluence, pas de plainte du voisinage. En juin dernier, nous avons été informés d'un changement de politique radical du Double-mixte par mail. Ils nous ont expliqué ne plus souhaiter accueillir d'événements nocturnes. On avait déjà commencé à discuter de la prochaine édition avec les équipes sur place, tous les voyants étaient au vert.
On avait déjà deux événements programmés en janvier au sujet desquels nous avons accepté de faire l'impasse. En revanche cela nous semblait impossible pour le Reperkusound. Le festival est urbain (et il est trop tôt dans l'année pour le camping), nocturne, multisalle, multi jours, il est nécessaire qu'on puisse avoir nos bars pour ne pas être lésés économiquement... Sans le Double-mixte et dans ces délais cela nous paraissait vraiment compliqué.
On a pensé à plusieurs lieux, le pôle Pixel de Villeurbanne, le Palais des sports de Gerland... Mais ça ne collait pas. Le maire de Villeurbanne Cédric van Styvendael, a finalement rencontré l'actionnaire majoritaire du Double-mixte, DCB International, qui a accepté qu'on fasse une dernière édition mais avec seulement l'étage du bas. On avait déjà perdu quelques têtes d'affiche, on était dos au mur, on a dit oui.
Verdict, on a été les premiers à organiser un événement d'une telle ampleur au Double-mixte, et on sera les derniers pour une programmation de nuit. C'était dans la salle à l'étage qu'on proposait nos shows les plus impressionnants, le plus de live. Là, il y aura quand même des lives, une scénographie mais on a privilégié une ambiance rave party, sur deux nuits au lieu de trois.
On a décidé de mettre le point d'orgue sur la soirée du dimanche, pour proposer quelque chose d'inédit avec Kavinsky, Petit Biscuit et Joachim Pastor cette fois-ci à la LDLC Arena. Ce sera le premier 360° pour une soirée electro dans ce lieu-là. On espère accueillir au moins 7 000 personnes.
EF : Le Reperkusound n'a pas vocation à se pérenniser à la LDLC Arena, mais on trouve ça bien de faire une soirée de clôture dans un nouveau lieu un peu plus mainstream, qui a une acoustique béton, identifiable et accessible. C'est un peu notre revanche face à nos dernières épreuves.
Comment se profile la suite du Reperkusound ?
JL : On a des idées mais ça reste un pari. Honnêtement j'ai tellement cherché de lieux en juillet que j'ai un peu arrêté. C'est compliqué de se projeter. On pensait déjà aux Grandes Locos depuis longtemps mais le format jour ne me convainc pas, il s'agirait d'un festival de plus qui finirait à minuit... C'est vraiment difficile de trouver des lieux qu'on peut investir la nuit à Lyon. Même au Parc des Berges par exemple, les open airs se raréfient pour éviter les problèmes de voisinage.
EF : Cette année on va probablement perdre de l'argent sur le Double-mixte car on accueillera bien moins de personnes ; peut-être que la LDLC Arena pourra économiquement rattraper le Reperkusound. On sait que là, on va probablement aller piocher dans les réserves du fond associatif. Ça nous permettra de tenir trois mois, pas trois ans. Ce n'est pas très prudent, mais il faut qu'on continue de se battre, d'y croire, c'est l'année du saut dans le vide.
On est un peu inquiets, car nous sommes un acteur majeur de la culture dans le paysage lyonnais, on se mobilise pour faire des événements qualitatifs, penser l'accessibilité, valoriser l'émergence locale... Et les perspectives ne sont pas très enthousiasmantes pour l'instant. Je ne vais pas citer les projets en suspens, les acteurs majeurs en difficulté mais ce n'est pas mentir de dire qu'une majorité des structures du territoire sont dans des situations complexes. On peine à trouver des lieux, à survivre dans un climat ultra inflationniste, le tout en faisant face à des acteurs aux modèles économiques qui ne sont pas raccord avec nos valeurs. Aujourd'hui on est vraiment poussés à prendre en otage le public avec des prix aberrants par exemple. On fait tout pour lutter contre cela mais on nous dit « si vous ne le faites pas, il y'en a d'autres qui le feront ». Il va donc falloir qu'on rivalise d'ingéniosité pour garder notre place et nos valeurs.