Quelques heures de printemps

Un fils sort de prison et renoue des rapports électriques avec sa mère malade. Avec ce film poignant emmené par une mise en scène sans psychologie ni pathos et deux comédiens incroyables, Stéphane Brizé s’affirme comme un grand cinéaste. Christophe Chabert

C’est un malentendu qui persiste et qui s’agrandit : un fils, Alain, et sa mère, Yvette, deux échoués de la classe moyenne dans une banlieue pavillonnaire en Bourgogne. Lui vient de purger un an et demi de prison pour une connerie qui lui a coûté cher, elle souffre d’une tumeur au cerveau dont l’avancée inéluctable la pousse à envisager un suicide assisté en Suisse. Les voilà à nouveau sous le même toit, mais les épreuves ne les rapprochent pas ; au contraire, le fossé du ressentiment qui a toujours existé entre eux se creuse encore. Un ressentiment qui est surtout affaire de non-dits. Dans Mademoiselle Chambon, Stéphane Brizé mettait en scène des silences qui en disaient long sur le désir et le sentiment amoureux ; avec Quelques heures de printemps, le silence se fait douloureux, blessant, cruel. Commencé à la manière d’Un mauvais fils de Sautet, le film bifurque peu à peu vers un territoire qui lui est propre, où le cinéaste observe la dernière tentative de communication entre Alain et Yvette avec un vérisme constant (de l’accent des personnages à la déco des intérieurs, c’est une observation maniaque et en même temps discrète de cette France du milieu, ni riche, ni pauvre).

L’hiver des sentiments

Construit en longs plans-séquences qui ne sont dédramatisés qu’en apparence mais qui organisent en fait une chorégraphie subtile de l’action (les plombs qui sautent lors de la première visite d’Alain à son voisin, Yvette qui épluche des pommes face à ce même voisin), Quelques heures de printemps s’offre d’impressionnantes ruptures par des éclats de violence proprement terrifiants. Cette violence, seul mode de dialogue entre le fils et sa mère, prend tout son sens lors de la marche funèbre finale, où les vannes d’une émotion longtemps contenue se déversent enfin à l’écran. En cela, Brizé réussit un tour de force : sans jamais recourir à la psychologie grossière ou à l’identification doloriste, en gardant une constante sécheresse dans sa mise en scène, il signe un film vraiment poignant dont on ne sort pas indemne. Cette réussite, il la doit aussi à l’antagonisme de ses deux acteurs : la force renfrognée de Lindon, encore meilleur que d’habitude, face à ce bloc de fragilité physique et d’aigreur morale qu’incarne une Hélène Vincent immense, dont la prestation extrêmement technique est aussi un geste viscéral de comédienne engagée de tout son être dans son personnage. Grande actrice, grand film.

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