Au-delà du réel

Joseph Cornell et les surréalistes à New York

Musée des Beaux-Arts

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Le Musée des Beaux-Arts consacre une très belle exposition à Joseph Cornell et à ses liens étroits avec le surréalisme dans les années 30 et 40. On y découvre à la fois un artiste majeur un peu oublié en France et quelques chefs-d’œuvre de ces sorciers de l'image que furent Man Ray, Salvador Dali, Max Ernst, René Magritte, Yves Tanguy ou Dorothea Tanning. Jean-Emmanuel Denave

Pour user d'une litote, on dira de Joseph Cornell qu'il est un artiste méconnu en France. Depuis 1981 et une exposition au Musée d'art moderne de Paris, rien ou presque à son propos. Il jouit pourtant aux Etats-Unis, d'après Sylvie Ramond (directrice du musée des Beaux-Arts de Lyon et co-commissaire de l'exposition Matthew Affron du musée de Philadelphie), «du statut de véritable icône de l'art américain, au même titre qu'un Jackson Pollock par exemple». Les commissaires tentent donc de rattraper le temps et l'intérêt perdus, tout en précisant «ne pas avoir voulu organiser une rétrospective, mais tenter de réinsérer Cornell parmi l'univers surréaliste, très important à New-York dans les années 1930 et 1940». Il y a là une petite coïncidence amusante, puisque la dernière fois que le musée des Beaux-Arts a exposé de grands artistes américains (Mark Rothko, Jackson Pollock, Barnett Newman... dans l'exposition Repartir à zéro en 2008), c'était au contraire pour montrer combien ces derniers ont voulu se libérer de l'imagerie illusoire et détachée de toute signification historique ou existentielle du... surréalisme ! Mais on a beau savoir, on a beau vouloir, on a beau critiquer... ces diables de surréalistes ont, envers et contre tout, un sacré don pour coller nos yeux à leurs toiles et affoler nos psychés de leurs rêveries plastiques alambiqueés.

 

Cheminant dans l'exposition du musée des Beaux-Arts, nous nous fîmes ainsi ces remarques : «Il n'est pas très bon peintre ce Giorgio De Chirico, mais quels univers troublants et inquiétants au sein de ses tableaux mélancoliques !» ; «Il en fait un peu trop ce Max Ernst, mais quel sens du court-circuit et de la rencontre incongrue dans ses toiles ou ses collages !» (souvenez-vous des mots de Lautréamont repris par André Breton : «beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie») ; «On nous rebat les oreilles avec Dali et les adolescents tapissent leurs chambres de ses reproductions, mais les trois petits tableaux du grand maître paranoïaque présentés au musée sont tout simplement des merveilles !»...

 

Au-delà du surréalisme
 

Joseph Cornell aura sans doute lui aussi été tout à la fois fasciné et agacé par ces œuvres que plusieurs galeries new-yorkaises exposaient à tour de bras dans les années 1930-40. Et si Cornell partage avec la bande à Breton une même visée poétique et onirique, l'ensemble de l'exposition convainc qu'il y a insufflé autre chose. Le surréalisme, a minima, donne une nouvelle dimension aux images (le sur-réalisme) et les met peu ou prou en mouvement. Joseph Cornell semble, lui, en multiplier les possibles et ajouter beaucoup d'autres dimensions  : la troisième dimension avec ses boîtes artistiques et ses petits théâtres d'ombres, le mouvement du cinéma, la mise en scène des objets, la danse, le jeu, le récit visuel... Cornell expérimente des formes et, intensifiant ou accélérant la constellation surréaliste, relance ce que l'on pourrait appeler une nouvelle fabrique de l'image. Des images qui sont très concrètement composées, assemblées, montées, et pas (ou si peu) peintes, sculptées ou dessinées. Artiste autodidacte, Cornell présenta ses premiers collages au galeriste new-yorkais Julien Levy en 1931.

 

On les retrouve en grand nombre dans l'une des premières salles de l'exposition, voisinant avec ceux de Max Ernst avec lesquels ils partagent bien des points communs : le noir et blanc, l'incongruité visuelle (une voile de navire faite d'une rose et d'une toile d'araignée !), l'utilisation de l'iconographie issue des gravures et des illustrés du XIXe siècle... A proximité, dans la pénombre, sont présentées de nombreuses «boîtes» de l'artiste, jouant là encore sur le "choc" visuel à partir de menus objets trouvés, de sable teinté, de bric et de broc. Ces matériaux pauvres donnent naissance à de véritables paysages poétiques, souvent très émouvants. La poésie et la littérature sont chez Cornell une source importante et constante d'inspiration. Certaines boîtes sont d'ailleurs dédiées aux poètes allemands Novalis et Hölderlin.

 

L'image, entre poétique et technique

Moment fort de l'exposition, la grande salle du musée est consacrée à la «constellation surréaliste» et présente des œuvres qu'a pu découvrir Cornell à New York : les trois petites toiles sublimes de Dali déjà citées, les espaces mélancoliques de Chirico, des œuvres de René Magritte, de Max Ernst, d'Yves Tanguy... Au centre de cet espace, quelques «boîtes d'ombre» de Cornell, autrement dit des mini-théâtres plastiques vitrés, démontrent aussi l'intérêt de Cornell pour le monde des marionnettes, du cirque, de la danse... L'homme a travaillé un temps dans la publicité et pour Hollywood et aimait mélanger les culture érudite et vernaculaire américaines. Un aspect de son travail qui reteint assurément l'attention de certains artistes pop américains...

 

Au premier étage, le parcours de l'exposition se diversifie encore davantage et éclate en une multiplicité de formes. On y découvre les films expérimentaux de Cornell, composés la plupart du temps à partir de films existants que l'artiste remontait, épurait, filtrait et accompagnait d'une bande sonore de son choix. On y découvre aussi sa fascination pour le mouvement, partagée avec Marcel Duchamp (quelques-uns des Rotoreliefs de ce dernier sont exposés en parallèle), et des jeux d'illusion optiques pré-cinématographiques. Formidable bricoleur de l'image, Cornell crée des jouets autant que des œuvres d'art optiques, expérimente des récits visuels composés, autour d'une thématique, d'archives diverses (cartons d'invitation, coupures de presse, cartes postales...) qui n'ont ni début ni fin. Soit encore un symbole fort d'un artiste qui littéralement plonge au cœur des images pour les réinventer, les détourner, leur redonner de nouvelles significations ou configurations... Si Cornell, comme les surréalistes, aime l'irrationalité des images, il est aussi et tout autant un passionné par la technologie des images et ses machineries extravagantes. Et s'inscrit dans l'héritage de Méliès, des Lumière, de la chronophotographie d'Etienne-Jules Marey... «Cornell compare son œuvre à "une sorte de jeu oublié, un jouet philosophique de l'ère victorienne, pourvu d'éléments mobiles poétiques ou magiques". Cornell s'inspire ici d'une idée élaborée par Baudelaire dans son essai Morale du joujou, publié en 1853» écrit Matthex Affron dans le catalogue de l'exposition.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les surréalistes quittent leur terre d'asile américaine et beaucoup de galeries qui leur sont liées ferment leurs portes. A partir de 1949, Cornell lui-même s'éloigne du mouvement et ses boîtes deviennent plus épurées, plus abstraites, plus géométriques, comme on peut le vérifier dans la dernière salle de l'exposition. Des créations auxquelles ne seront pas insensibles les jeunes artistes du Pop Art ou de l'art minimal.

 

Joseph Cornell et les surréalistes à New York


Au Musée des Beaux-Arts, jusqu'au lundi 10 février
Catalogue aux éditions Hazan
Nocturne "Joseph Cornell et la musique", vendredi 8 novembre
Colloque autour du cinéma de Joseph Cornell, samedi 8 février

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