Les profondeurs pop de Requin Chagrin

Dernière révélation du bureau français du défrichage et de l'aménagement du sous-territoire indie La Souterraine, Requin Chagrin se pointe l'air de rien et le museau en avant avec sa pop de squale triste pour plages désertes et embrumées. Un genre de surf-garage propice à la noyade et à l'amnésie.

Revoilà madame La Souterraine, présentant un nouveau poulain. Oui, mais un poulain avec plusieurs rangées de dents et un aileron, naviguant en eaux troubles avant de fondre comme si de rien n'était sur sa proie, après quelques ronds dans l'eau menaçants et hypnotiques. Ce n'est ni plus ni moins que la manière de fonctionner de Requin Chagrin (© Michel Sardou pour le nom), gangue de requins auxquels on aurait collé un coup anesthésiant sur le museau (le seul moyen, paraît-il, d'échapper à une attaque) ou supprimé les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine.

Car Requin Chagrin prend les vagues comme on attaque sa vingt-huitième piña colada en bord de piscine un jour de canicule – avec une conviction légèrement entamée – mais, porté par sa belle nature, surfe comme personne : à deux à l'heure et la voix en mode sonar (mixée très en arrière, le groupe sur la plage, la chanteuse Marion Brunetto dans l'arrière-pays). Et quand le squale est lancé, pour peu que le pouls asymptomatique de cette batterie autiste s'accélère et que les synthés soient bien branchies, il y a intérêt à nager vite (redoutable tourbillon que le titre Le Chagrin).

Dans le brouillard

Cela avait déjà été noté lorsque le groupe s'était révélé avec Adélaïde sur la cinquième compilation éditée par La Souterraine – compilations qui, on le rappelle, ont pour vocation de défricher la pop française francophone déviante, en creusant bien profond dans l'underground le plus velouté. Là, déjà, scintillait dans la grisaille les étincelles twang de guitares cristallines. Un album arrive, ondulant, le 31 octobre, qui entre surf mou, garage fermé à double tour, désillusion post-rock, éblouissements western et nuage dream-pop noirci à la new-wave se révèle moins arrache-coeur que mange-cervelle.

«Tout se perd dans le brouillard / tout se trouble au fond de ma mémoire» chante Marion Brunetto comme pour emballer ce redoutable poisson triste dans le grand papier journal intime d'un revival sans époque. Elle ne croit pas si bien dire, même d'aussi loin que nous arrive sa voix : en 2009, l'écrivain anglais Steven Hall avait publié un étrange roman, shooté à l'onirisme et à la méta-fiction, l'histoire d'un homme traqué par un requin conceptuel qui dévore sa mémoire. Son titre : Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde. S'il avait fallu résumer ce jeune espoir pop et son disque, on n'aurait pas dit mieux.

Requin Chagrin
Aux Bons Sauvages mercredi 4 novembre

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