La Tablée : cantine participative maline et imaginative
À Saint-Etienne, une cantine participative vient d’ouvrir ses portes sur les bas du Crêt-de-Roc. Au menu : de bons petits plats, et surtout du faire-ensemble pour mieux vivre-ensemble. Reportage lors de la première journée d’activité, entre régalade et bienveillance.
Textes : Cerise Rochet ; Photos : Véro Martin
Mercredi 12 janvier en fin de matinée, sur les bas du Crêt-de-Roc à Saint-Etienne. Filet blanc sur la tête et tablier autour de la taille, Charlotte traverse la route d’un pas pressé et s’engouffre dans le local qui fait face aux marches d’escalier, à l’angle des rues Robert et Roger Salengro. A l’intérieur, on donne un dernier coup de collier avant une pause-café bien méritée. D’ici une heure, les premiers estomacs affamés viendront se mettre à table, mais avant cela, il reste quelques préparations à terminer. Aujourd’hui, la cantine participative La Tablée ouvre ses portes, après plusieurs semaines de travaux et d’aménagement des locaux. Le principe ? Proposer à tout le monde – et en particulier aux habitants du quartier – de venir cuisiner un repas bon, sain, végétarien, et de le servir ensuite à prix libre à des clients, appelés « convives » pour recentrer l’échange sur l’humain, et non sur l’argent.
Dans l’espace cuisine de cette cantine hors du commun, on s’agite. Autour de Charlotte, la salariée de l’association qui assure la gestion du lieu, Lina enfourne les tartes aux épinards, tandis que Gaelle et Milena mixent le velouté de poireaux dans de grosses marmites. Sur la table, 3 cakes au citron attendent sagement dans leurs moules d’être recouverts d’un doux glaçage que Mohamed, saladier sous un bras et ustensile dans l’autre, est en train de fouetter d’une main ferme. Derrière l’évier, Jérôme, qui a mis la main à la patte à gâteau en début de matinée, s’occupe maintenant de nettoyer les récipients.
Une pause entre cuisine et service
Peu avant midi, il est l’heure de souffler un peu. Les volontaires du jour ont achevé leur mission, et s’installent autour d’une table recouverte de jolies nappes esprit vintage. Charlotte, soulagée de constater que tout a été confectionné dans les temps, lance un debrief autour d’un café.
« Expérience formidable ». « Vraiment très sympa ». « Convivial ». Pour cette première, tout semble s’être déroulé sans accroc. Les volontaires sont heureux d’être venus, et certains promettent d’ores et déjà de revenir. Jérôme, qui s’était inscrit dans l’espoir de rompre la solitude, est littéralement conquis : « Charlotte nous a guidés à la perfection, tout en douceur. Je suis venu ici pour échanger, pour participer à un projet commun et je ne suis pas déçu. Je suis même surpris, je ne m’attendais pas à ce que cela se passe aussi bien. Ça me fait un bien fou, et bien sûr, je compte participer de nouveau ».
Le pari pouvait paraitre audacieux, pourtant. Cuisiner pour 30 personnes en 2h30 de temps, sans forcément être un cordon bleu… Sur le papier, la règle aurait largement de quoi donner quelques sueurs froides aux champions de la toque et du tablier. « Je ne suis pas cuisto, confirme Charlotte d’une voix calme. J’ai quelques expériences en restauration, j’aime beaucoup cuisiner, mais je n’ai jamais été chef. Cela dit, notre but ici n’est pas d’ouvrir un restaurant. On veut simplement rendre la cuisine accessible à tout le monde en enseignant les mécaniques de base, montrer que lorsqu’on fait à plusieurs, on peut réussir, tout en créant un moment d’échange et de partage avec des gens que l’on n’aurait peut-être jamais rencontré si l’on n'était pas venu ici. »
Sur l’un des murs de la cantine, l’horloge indique maintenant midi vingt. Dans l’espace de réception, les premiers convives viennent d’arriver et s’installent, les uns en face des autres, le long des deux grandes tablées elles-aussi recouvertes de nappes à fleurs ou à carreaux. Le décor, la chaleur de l’accueil, la bonne odeur qui s’échappe du four… On se croirait presqu’arrivé chez mamie, le dimanche à midi, pour partager un bon moment autour d’un repas simple mais gourmand.
À table !
Au fur et à mesure de l’arrivée des assiettes, les discussions s’animent entre les gens, qui pour la plupart ne se connaissaient pas 10 minutes avant. Après avoir participé au service, Jérôme, toujours aussi heureux d’être là, prend place aux côtés d’Hervé et de Sylvie, venus goûter aux tout premiers plats de La Tablée, dont « on sent qu’ils sont préparés avec amour ». Gérants de la Galerie A située à deux pas de la cantine, ce couple d’actifs semble totalement séduit par le concept : « C’est mieux qu’au restau ! Le côté participatif recentre les choses sur l’humain, et ça fait beaucoup de bien. C’est très bon, l’ambiance est excellente, et ça donne envie de venir cuisiner à notre tour ! », lancent-ils, avant de démarrer une discussion animée mais bienveillante avec Jérôme, qu’ils rencontrent pour la première fois.
Autour des deux grandes tables, l’histoire est la même. On noue le contact en parlant du lieu et du repas. Et un « le concept est super » et deux « c’est vraiment délicieux » plus tard, on raconte un peu qui l’on est, on découvre qui sont les autres, on se parle de ce qu’on aime, et on finit par se trouver des points communs qui donnent envie de se recroiser, et de poursuivre l’échange une prochaine fois.
Contre le repli sur soi
« Prendre le risque de rencontrer des inconnus, c’est le principe même de la cantine participative, développe Olivier Morel, l’un des 7 co-présidents de l’association gestionnaire du lieu. Que ce soit en venant cuisiner, ou simplement en venant manger. Notre idée est de nous servir du repas pour lutter contre l’isolement, mais pas seulement dans le sens « social » du terme. Bien sûr, on pense aux personnes âgées, qui ont particulièrement souffert depuis le début de cette pandémie. Bien sûr, on pense aux personnes en situation de précarité. Mais on pense surtout à la mixité dans son ensemble : sortir de l’isolement, pour nous, ça signifie s’adresser à tout le monde en allant à l’encontre du repli sur soi pour quel que motif que ce soit, en prouvant que l’on peut passer un joyeux moment entouré de gens qu’on ne connait pas ».
Pour s’adresser véritablement à tout le monde, l’idée de proposer le repas à prix libre s’est imposée d’elle-même aux initiateurs du projet : à La Tablée, les personnes en difficulté peuvent avoir accès à un bon repas, tandis que chacun est invité à s’interroger sur la valeur de l’expérience qu’il vient de vivre. Avec 5 euros par repas, la matière première est couverte. Avec 8 euros, on atteint le prix d’équilibre, qui permet à l’association de s’acquitter non seulement des matières premières, mais aussi de toutes les charges. « Une fois que l’on sait ça, chacun fait en fonction de ce qu’il peut, et de ce qu’il veut, précise Olivier. L’argent cesse alors d’être la seule monnaie d’échange, pour devenir une monnaie d’échange parmi d’autres : cuisiner, débarrasser, faire la vaisselle… En bref, participer. »
Expérimenter le vivre ensemble
À13h30, alors que tout le monde a eu du rab et que le repas prend fin, dans le réfectoire, on se lève à tour de rôle. Certains font des piles d’assiettes, d’autres commencent les aller-retours jusqu’à l’évier pour ramener la vaisselle sale. En deux coups de cuillères à pot, avec la participation de tous, les tables sont débarrassées, tout est remis en ordre, et l’encaissement peut commencer. Charlotte s’installe sur un tabouret, et prend un petit temps pour chacun, en même temps qu’elle remplit sa petite cassette de fer et qu’elle récupère les mails de ceux qui souhaitent le laisser : « ça vous a plu ? ». A cela, chacun à leur tour, les convives du jour répondent d’un oui ferme. Pour eux qui, sans doute, nourrissent l’envie de voir un jour les valeurs du vivre-ensemble reprendre le dessus, l’initiative fait l’effet d’un grand pas bienvenu : ce mercredi-là, à La Tablée, les « merci » de la fin ont tous fait un joli bruit de sincérité… Et ce n’est sans doute qu’un début.
La Tablée, 15 rue Robert à Saint-Etienne.
Ouvert du mercredi au samedi, inscriptions à la préparation, et réservations pour le repas au 07 67 89 56 05