Politique Culturelle / 3, 8 millions d'euros en moins, près de 150 structures concernées : la Région Auvergne Rhône-Alpes et son président Laurent Wauquiez devraient acter la semaine prochaine de fortes baisses des subventions à destination de l'écosystème culturel du territoire. Un coup dans les chevilles, pour un secteur encore amoché par les répercussions de l'épidémie de covid... D'autant que les justifications apportées par la majorité régionale paraissent aujourd'hui assez peu convaincantes.
Jeudi, plusieurs articles du Petit Bulletin révélaient les noms des structures culturelles impactées par les coupes budgétaires décidées par la Région, ainsi que leurs montants. Dans la foulée, le journal Libération, s'appuyant notamment sur un courrier adressé le 9 mai au président de Région par des conseillers de l'opposition et sur une étude approfondie de ces coupes, mettait en évidence leur lien possible avec « une carte électorale favorable à Laurent Wauquiez ».
Une analyse qui fait à la fois écho aux motifs invoqués par le cabinet de Laurent Wauquiez pour justifier ses choix, mais aussi aux soupçons de clientélisme dont la majorité régionale fait régulièrement l'objet depuis le début de son premier mandat.
Culture des villes et culture des champs
Fin avril, la collectivité avait en effet indiqué vouloir procéder à un « rééquilibrage » entre les grandes zones urbaines et le reste de la Région, afin « d'irriguer la culture jusque dans les territoires les plus éloignés ». Sauf qu'en scrutant le détail des montants alloués, et surtout des montants qui ne le seront plus... L'on constate que l'argument de l'élu ne tient pas.
Comment expliquer en effet que le festival de théâtre de Pélussin les Bravos de la Nuit perde 15% de sa subvention par rapport à 2021 ? Ou bien la diminution de 6500 euros de la subvention allouée au festival Cultures du Monde de Gannat dans l'Allier ? Ou encore la baisse de 66% de la somme octroyée à la compagnie Footsbarn théâtre, sur la commune de Haut-Bocage ? Sur près de 150 structures qui subiront une coupe en 2022, une grosse trentaine soit 20%, se situent non pas sur des grandes aires urbaines qu'il faudrait ponctionner pour pouvoir redistribuer... Mais sur des communes de moins de 10 000 habitants.
Politique électoraliste ?
Difficile, dès lors, de ne pas imaginer que cet abattage puisse cacher, au moins pour partie, une décision politique. D'autant que les métropoles écologistes Lyon et Grenoble sont aujourd'hui celles qui comptent le plus d'établissements, compagnies ou événements touchés par ces diminutions, et qui plus est le plus durement.
En outre, les interrogations ne datent pas d'hier. En mars 2021, une enquête de nos confrères de Médiapart révélait en effet que Laurent Wauquiez semblait avoir fait du clientélisme électoral un mode de gouvernance au sein du conseil Régional. Au centre du jeu, l'un de ses plus proches collaborateurs, Ange Sitbon, ancien cadre du parti Les Républicains et considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de la carte électorale française.
Selon le média en ligne, toutes les demandes de subventions auprès de la collectivité auraient, durant le premier mandat, atterri directement dans les mains de ce conseiller au « rôle (officiel) flou », chargé de passer chacune d'entre elles au filtre politique.
A l'issue de la parution de l'article de Médiapart, l'opposition, considérant que ces faits seraient « susceptibles d'être qualifiés de détournements de fonds publics », avait ainsi saisi le Parquet National Financier. Depuis, plusieurs enquêtes sont en cours concernant la mandature 2016-2021, mais également la précédente, suite à la saisine du PNF par Laurent Wauquiez lui-même : après la charge de l'opposition, le président de Région avait en effet vivement contesté les faits, fustigeant l'ère Queyranne et « la politique d'attribution des aides de la région à (cette) époque, discrétionnaire au profit uniquement de quelques communes, laissant de côté toutes les petites communes rurales et majoritairement celles qui n'étaient pas de leur sensibilité politique ».
Culture-bashing
Reste que la liste des structures culturelles qui se verront cette année amputées de tout ou partie du soutien financier de la Région ne saurait aujourd'hui être lue si clairement.
Dans la métropole stéphanoise par exemple, si certaines dissensions politiques entre le maire Gaël Perdriau (LR) et le président de Région pourraient dans cette logique expliquer les ponctions des subventions de la Cité du Design, de l'Ecole de la Comédie, du festival des 7 Collines, de l'Ecole de l'Oralité, plusieurs structures se verront dans le même temps réattribuer les mêmes montants que les années précédentes. Dans le département de la Haute-Loire, territoire cher à Laurent Wauquiez, la baisse ou la suppression des subventions de plusieurs festivals, notamment au Puy (dont il a été maire) et au Chambon-sur-Lignon (dont sa mère a été maire), brouillent elles-aussi les pistes.
Dans la pénombre qui s'installe, pourtant, un élément pourrait toutefois paraitre plus limpide. Depuis son arrivée à la tête de la Région AURA il y a 6 ans et demi, Laurent Wauquiez aura en effet toujours entretenu le flou quant à sa considération pour le domaine culturel. Stratégie de culture-bashing ? La question peut se poser, même si l'élu s'en défend aujourd'hui : « la région Auvergne-Rhône-Alpes porte la plus grande estime aux acteurs du monde culturel », soulignait-il en cette fin de semaine.
Pour mémoire en 2016, tandis que les acteurs culturels prenaient leur mal en patience en attendant que la nouvelle majorité régionale veuille bien rendre publique sa feuille de route, le président, lui, supprimait les comités de sélection, préférant décider seul de ce qui doit ou non être soutenu... Sur la base du « rayonnement », et de ce que « cela peut rapporter au territoire », et ce, quitte à in fine, porter atteinte à la liberté de création.
S'agirait-il alors de faire de la culture une économie qui rapporte, sinon rien ? Justifiées par des contraintes budgétaires et un souci d'équité, cachant sans doute une forme de stratégie politique, les récentes décisions du président de Région pourraient alors plus largement s'inscrire dans un cap idéologique à suivre.